Citations sur Portrait du colonisé, précédé de : Portrait du colonisateur (10)
S'accepter comme colonisateur, ce serait essentiellement [...] s'accepter comme privilégié non légitime, c'est-à-dire comme usurpateur. L'usurpateur, certes, revendique sa place et, au besoin, la défendra par tous les moyens. Mais, il l'admet, il revendique une place usurpée. C'est dire qu'au moment même où il triomphe, il admet que triomphe de lui une image qu'il condamne. Sa victoire de fait ne le comblera jamais : il lui reste à l'inscrire dans les lois et dans la morale. Il lui faudrait pour cela en convaincre les autres, sinon lui-même. Il a besoin, en somme, pour en jouir complètement, de se laver de sa victoire, et des conditions dans lesquelles elle fut obtenue. D'où son acharnement, étonnant chez un vainqueur, sur d'apparentes futilités : il s'efforce de falsifier l'histoire, il faut récrire les textes, il éteindrait des mémoires. N'importe quoi, pour arriver à transformer son usurpation en légitimité.
Il existe, enfin, d'autres possibilités d'influence et d'échanges entre les peuples que la domination.
Pendant comme avant la révolte, le colonisé ne cesse de tenir compte de colonisateur, modèle ou antithèse. Il continue à se débattre contre lui. Il était déchiré entre ce qu'il était et ce qu'il s'était voulu, le voilà déchiré entre ce qu'il s'était voulu et ce que, maintenant, il se fait. Mais persiste le douloureux décalage d'avec soi.
«Celui qui n'a jamais quitté son pays et les siens ne saura jamais à quel point il leur est attaché «(p 139),
«Un homme à cheval sur deux cultures est rarement bien assis» (p 128),
Mais quels privilèges, quels avantages matériels méritent que l'on perde son âme ?»(p 148).
«La promotion des médiocres n'est pas une erreur provisoire, mais une catastrophe définitive» (p 58),
«Qu'est-ce que le fascisme, sinon un régime d'oppression au profit de quelques-uns ?» (p 70),
Tel est le drame de l'homme-produit et victime de la colonisation : il n'arrive presque jamais à coïncider avec lui-même.
La peinture colonisée, par exemple, balance entre deux pôles : d'une soumission à l'Europe, excessive jusqu'à l'impersonnalité, elle passe à un retour à soi tellement violent qu'il est nocif et esthétiquement illusoire. En fait l'adéquation n'est pas trouvée, la remise en question de soi continue. Pendant comme avant la révolte, le colonisé ne cesse de tenir compte du colonisateur, modèle ou antithèse. Il continue à se débattre contre lui. Il était déchiré entre ce qu'il était et ce qu'il s'était voulu, le voilà déchiré entre ce qu'il s'était voulu et ce que maintenant, il se fait.
Mais persiste le douloureux décalage d'avec soi.
Pour voir la guérison complète du colonisé, il faut que cesse totalement son aliénation : il faut attendre la disparition complète de la colonisation, c'est-à-dire période de révolte comprise.
En définitive nous allons nous trouver en face d'une contre-mythologie. Au mythe négatif imposé par le colonisateur succède un mythe positif de lui-même, proposé par le colonisé. Comme il existe, semble-t-il, un mythe positif du prolétaire opposé à son négatif. À entendre le colonisé, et souvent ses amis, tout est bon, tout est à garder, dans ses mœurs et ses traditions, ses actes et ses projets ; même l'anachronique et le désordonné, l'immoral ou l'erreur.
Tout se justifie puisque tout s'explique.
L'affirmation de soi du colonisé, née d'une protestation, continue à se définir par rapport à elle. En pleine révolte, le colonisé continue à penser, sentir, vivre et vivre contre et donc par rapport au colonisateur et à la colonisation.