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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'académie Goncourt remettra un prix annuel « au meilleur roman, au meilleur recueil de nouvelles, au meilleur volume d'impressions, au meilleur volume d'imagination en prose, et exclusivement en prose, publié dans l'année. »

C'est en ces termes qu'Edmond de Goncourt imagine la mission qu'il veut voir assumée par celle dont il dresse les fondations avant de quitter la grande scène de la comédie humaine. Cette académie sera chargée selon ses intentions, certes non avouées, de suppléer au défaut de reconnaissance de leur talent par leurs contemporains, les privant ainsi de satisfaire leur voeu le plus cher : accéder à la postérité.

Pourtant peu de temps avant, à 64 ans, le même Edmond écrivait dans ce fameux journal qui faisait trembler tout ce que le monde littéraire pouvait comporter de sommités : « A l'heure présente, la lecture d'un roman, et d'un très bon roman, n'est plus pour moi une lecture captivante et il me faut un effort pour l'achever. Oui, maintenant, j'ai une espèce d'horreur de l'oeuvre imaginée. »

En voilà donc un qui n'en était pas à une contradiction près. Il aurait pu faire de la politique. Domaine auquel il s'est pourtant bien gardé de toucher, trop confiant dans le talent que sa mégalomanie voulait lui attribuer et le garantir de survivre à une fin prochaine alors que tant d'autres, qui selon lui ne lui arrivaient pas à la cheville, voyaient leur publications plébiscitées par la critique et les lecteurs, tel Zola, Hugo, Flaubert et consorts. Ils se nourrissaient selon lui du talent des Goncourt pour bâtir leur propre célébrité. Ce que les deux frères ne manquaient pas de faire savoir dans ce journal qu'ils tenaient avec assiduité, puis Edmond tout seul après la mort précoce de ce frère « siamois », bien que de huit années plus jeune et retiré trop tôt à l'affection de son aîné.

Le journal des Goncourt, la véritable oeuvre de leur vie, était devenu un épouvantail pour tous ceux qu'ils considéraient comme plumitifs, gratte-papier suceurs de célébrité et bâtissaient le temple de leur succès en déconstruisant celui des Goncourt. Si je faisais usage de tournures à la Audiard, je dirai qu'avec leur journal, ces deux-là formaient une belle paire d'obscurs furieux qui défouraillaient tout azimut, sur tout ce qui osait émerger du triste monde des pisse-copie. le journal des Goncourt ne connaissait point d'amis. Un tel salué dans la journée se faisait clouer au pilori dans des pages assassines le soir même. Ce que d'aucuns auraient voulu voir censuré, interdit à vie, a pourtant fait du survivant des Goncourt, mais sur le tard, une icône reconnue de la nation. Sans doute pour avoir osé écrire et publier ce que tant d'autres fomentant la même rancoeur jalouse chuchotaient entre eux après s'être garantis des oreilles indiscrètes.

Pierre Ménard a fait de cette biographie un ouvrage succulent. Il faut dire que le sujet, les sujets devrais-je dire, lui ont facilité la tâche. Avec un style gouleyant et croustillant à souhait dont on imagine qu'il ait pu être transcendé par les deux frères, mais pas seulement. Il nous propose un ouvrage à la documentation fouillée, exigeant de culture pour un lecteur qui se perd facilement dans le cénacle des sommités littéraires ayant fréquenté le grenier des Goncourt, comme en d'autre temps on fréquentait les derniers salons où l'on cause. Avec pour le coup cette fois la hantise de se voir agoni d'opprobre, piétiné dès le lendemain dans le fameux journal. Dont la dernière édition aura été retardée bien au-delà de la disparition du dernier des frères tant il était suspecté et craint de révélations sulfureuses sur tous ceux qui avaient été aspirés par la sphère d'attraction des pourfendeurs de réputation, redresseurs de tort. le tort étant, on l'aura compris, de leur voler la vedette dans le cercle très fermé des auteurs à succès.

Fervents admirateurs du XVIIIème siècle, chineurs et collectionneurs émérites, promoteurs de la culture asiatique, observateurs méticuleux mais sans scrupule de leur temps, critiques acerbes, opiniâtres et téméraires, ils avaient ouvert selon eux la voie à un nouveau courant littéraire dit naturaliste, qui se voulait en rupture avec l'idéalisme chaste et grandiloquent lequel présidait aux premiers ouvrages du genre romanesque. Oui mais voilà, Zola est passé par là avec les Rougon-Macquart et leur a mangé la laine sur le dos. Il s'est donc fait copieusement étriller dans le fameux journal. Mais paradoxe, il n'en désertera pas le grenier des Goncourt pour autant. Pierre Ménard nous ouvre à cette bizarrerie, laquelle a voulu que les cibles potentielles des Goncourt ne désertent pas le champ de tir tant elles ressentaient la nécessité de rester au fait de l'actualité – pour parer les coups peut-être aussi - plutôt que disparaître des écrans radars de la renommée. Plutôt vilipendés qu'oubliés. le journal a fini par faire référence, et la gloire des diaristes redoutés.

Superbe ouvrage de Pierre Ménard qui ne vaut pas que par les sujets traités, puisqu'il faut bien garder le pluriel en parlant de Goncourt. Un ouvrage qui satisfait avec brio à l'obsession de ce couple atypique dont le patronyme est devenu aujourd'hui un nom commun affublé d'un millésime dans l'esprit des amateurs de littérature. Obsession de durer donc, au-delà de la mort, et puisque cela n'a pas été par le talent d'écriture, encore que, que cela soit en pis-aller par un artifice qui ramène au talent. L'intention est sauve.

Je remercie Babelio et les Editions Tallandier de m'avoir gratifié de cet envoi dont je ne regrette nullement la sélection dans l'opération Masse critique, bien au contraire.

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