Citations sur Les Orphée (21)
Qu’il me semble loin ce temps béni… Et maintenant ? Maintenant je m’enfuis dans la nuit. Les étoiles. Quand je te parlais des étoiles, tu me disais toujours qu’elles t’effrayaient. Cette foule étincelante là-haut te faisait te sentir toute petite, inexistante, tu la craignais comme on craint la fin de l’été. Et tandis que je les admirais, tu me reprochais mon romantisme étouffant, alors je souriais parce que je savais qu’au fond, tu m’aimais pour ça, et je fermais les yeux, béni.
Seul, entouré par la multitude, Orphée sort son portable. Les gens supposent que c’est parce qu’il a reçu un message, mais en réalité, c’est l’espoir. Des nouvelles, de la vie, dites-moi ! Du fond des Enfers, Orphée se connecte parfois à Facebook. Un Enfer parallèle. Orphée espère qu’en le voyant connecté, quelqu’un lui écrira un mot. Orphée adore sentir son téléphone vibrer, battement de cœur numérique. Qui essaye de le contacter ? Chaque message porte un espoir.
Au bar, il y a toujours ceux qui offrent et ceux qui se font offrir. Tous ont le même verre à la main. Les premiers sont au comptoir, les seconds attendent juste derrière, un rictus affable cousu sur les lèvres.
Eurydice a toujours été une ombre, une fumée, un silence. On sait trop peu de chose sur elle : une nymphe. Voilà. Très réducteur tout ça, sexiste même. Un simple serpent a eu raison d’elle (d’autres diront un accident de car, mais il s’agit d’une autre histoire). Lorsque cette antiquité d’Orphée la retrouve, il a interdiction de la regarder. On sait qu’il va se retourner plus tard, sous prétexte qu’il ne l’entend ou ne la sent plus : alors l’aimée « soudain dans les airs s’évapore ».
Orphée aime les abandonnées, ça le rassure un peu. À ce niveau et à cette heure, avachie sur les longs sièges en cuir, il n’y a que des amours cassées. Pour fêter ça, il commande deux shots de vodka, s’assied près de l’abandonnée et lui tend le minuscule verre.
Tout est nul, tout est pourri, son jugement bourré de certitudes reste sans appel, il condamne à la pelle, et tant pis si la sanction paraît injuste.
Pour être agressif, on grince des dents, pour être joyeux on crie, et pour être malheureux, on se tait.
Virgile n’est pas un poète. Les seules lignes qu’il trace sont celles qu’il renifle. Attention, ça ne veut pas dire que c’est une mauvaise personne ; juste un mauvais poète.
Les Virgile d’Orphée sont multiples et ont tous le même pouvoir : ouvrir des portes. On n’accède pas aux Enfers comme ça. Il ne suffit pas de se promener, de voir de la lumière et d’entrer. Non, il faut connaître, parfois réserver, toujours faire la bise et rigoler. Cet Enfer-là, ça se mérite. Il y a souvent la queue. L’Enfer, ça n’est pas les autres pour rien, les gens aiment tellement être tristes qu’ils se réunissent pour partager leur joie du malheur.
La nuit, il n’y a plus de voie droite. Orphée le sait, quartier libre. Il ne croise pas de panthère, ni de lion ou de louve, le zoo est resté clos, aucun animal ne s’en est échappé. Orphée est libre de déambuler sans risquer de se faire dévorer. Le ciel noir lui permet de visiter tout ce que le jour tient fermé. Même son cœur. Simplement pour ça, il lui faut un peu d’alcool pour graisser les gonds des vaisseaux qui l’alimentent.