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Critique de batlamb


Une salamandre myriapode, une hydre-phasme, un nain de jardin avec une matraque, une danseuse qui se fait gratter le dos par une étoile de mer, une cage thoracique griffue et velue… Les peintures de Michaux feraient un bon test de Rorschach. Elles évoquent une aberrante « zoologie », terme utilisé par Michaux pour le réfuter et lui préférer « signes », tels des idéogrammes signifiant le mouvement dans ses variations infinies.

On peut aussi considérer ces signes comme un alphabet runique destiné à des incantations, pour invoquer les « démons effrénés accompagnateurs de nos actes et contradicteurs de notre retenue ». Et quand Michaux se met à évoquer les mouvements de la mer et de ses créatures, on croirait presque que le spectre de Maldoror va apparaître dans un nuage d'encre de poulpe, où notre poète trempe sa plume pour signer un pacte avec toutes les entités permettant d'échapper aux « mots des autres », au langage commun, et plus généralement aux systèmes de pensée qui verrouillent le corps.

Le graphisme et le texte se mêlent dans un hymen féroce, une « opération requin ». Il en résulte une poésie qui « va plus avant », comme aurait dit Paul Celan.

Dans le sillage de ce jaillissement initial apparaissent les pronoms personnels « je » et « tu ». Un échange s'installe, entre violence (« Je rame contre ta vie ») et douceur (« Je fais des nappes de paix en toi »). Happé par ce dialogue, le lecteur est secoué par des courants contraires établissant de force un mouvement en lui.

Et Michaux continue à ramer sur son frêle esquif, dans la vaine poursuite d'un contact représenté par la métaphore d'appels téléphoniques aussi intempestifs qu'insaisissables. Ses efforts achoppent sur les « pièges de la communication », où sa vie et celles des autres se font obstacle au lieu d'aller de l'avant ensemble.

L'action se fait réaction, à la limite de l'allergie. On le voit fuir la présence de personnages de cinéma rentrant dans son univers par métalepse. Hypersensibilité et misanthropie se mêlent avec humour, et si la vie des autres apparaît gênante, celle de Michaux paraît, en conséquence, invivable. Cercle vicieux.

Face à cette aporie, la recherche scientifique s'organise. le remède qu'elle propose est de manipuler l'identité. On passe à la deuxième personne du pluriel, sur un ton détaché, chirurgical (synthétisé par l'expression « tranches de savoir », qui évoque à la fois l'art de l'aphorisme et le mouvement du scalpel tranchant dans le vif). D'inquiétants savants semblent introduire un corps étranger dans les pensées d'une tierce partie, afin de manipuler ses états d'esprit. On commençait à peine à s'y retrouver que tout a déjà changé. « Même si c'est vrai, c'est faux ».

Conséquence kafkaïenne de ces métamorphoses : Michaux va vivre sa vie chez les insectes. C'est parti pour une lune de miel grotesque avec des nymphe(tte)s gluantes. Bien sûr, cela mènera aussi à rencontrer une guêpe parasitoïde, une espèce qui a inspiré le mode de reproduction de l'alien du film du même nom. Une fois introduite en soi, l'altérité peut rejaillir sous des formes peu ragoûtantes.

Qu'importe, Michaux est prêt à explorer celle-ci jusque dans un au-delà aussi intangible qu'inquiétant. Nous y écoutons parler une ombre féminine, écho du principe féminin nommé « Anhimaharua » plus tôt dans le recueil. Elle poursuit sa chute dans l'obscurité d'un sommeil toujours plus profond, qui se confond ici avec la mort. Et elle nous fait le récit au présent des phénomènes qui l'entourent, comme une sorte de retransmission en direct du Bardo Thodol sur les ondes d'une radio alien. Yama le dévoreur est remplacé par des essaims d'ombres prédatrices. Dans cet univers anxiogène fait de dépossession, le savoir ne peut être que transitoire. On ouvre alors son transistor pour capter les fréquences de la vérité du moment, juste avant son engloutissement imminent. La muse malade de Michaux fonde une démarche poétique qui marquera entre autre Philippe Jaccottet (il reprendra la citation suivante dans son Entretien des Muses) : « Savoir. Autre savoir ici. Pas savoir pour renseignements. Savoir pour devenir musicienne de la vérité. »
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