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EAN : 9782070327065
196 pages
Gallimard (10/04/1992)
4.23/5   46 notes
Résumé :
« Qui, ayant suivi mes signes sera induit par mon exemple, à en faire lui-même selon son être et ses besoins, ira, ou je me trompe fort, à une fête, à un débrayage non encore connu, à une désincrustation, à une vie nouvelle ouverte, à une écriture inespérée, soulageante, où il pourra enfin s'exprimer loin des mots, des mots, des mots des autres. »
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Une salamandre myriapode, une hydre-phasme, un nain de jardin avec une matraque, une danseuse qui se fait gratter le dos par une étoile de mer, une cage thoracique griffue et velue… Les peintures de Michaux feraient un bon test de Rorschach. Elles évoquent une aberrante « zoologie », terme utilisé par Michaux pour le réfuter et lui préférer « signes », tels des idéogrammes signifiant le mouvement dans ses variations infinies.

On peut aussi considérer ces signes comme un alphabet runique destiné à des incantations, pour invoquer les « démons effrénés accompagnateurs de nos actes et contradicteurs de notre retenue ». Et quand Michaux se met à évoquer les mouvements de la mer et de ses créatures, on croirait presque que le spectre de Maldoror va apparaître dans un nuage d'encre de poulpe, où notre poète trempe sa plume pour signer un pacte avec toutes les entités permettant d'échapper aux « mots des autres », au langage commun, et plus généralement aux systèmes de pensée qui verrouillent le corps.

Le graphisme et le texte se mêlent dans un hymen féroce, une « opération requin ». Il en résulte une poésie qui « va plus avant », comme aurait dit Paul Celan.

Dans le sillage de ce jaillissement initial apparaissent les pronoms personnels « je » et « tu ». Un échange s'installe, entre violence (« Je rame contre ta vie ») et douceur (« Je fais des nappes de paix en toi »). Happé par ce dialogue, le lecteur est secoué par des courants contraires établissant de force un mouvement en lui.

Et Michaux continue à ramer sur son frêle esquif, dans la vaine poursuite d'un contact représenté par la métaphore d'appels téléphoniques aussi intempestifs qu'insaisissables. Ses efforts achoppent sur les « pièges de la communication », où sa vie et celles des autres se font obstacle au lieu d'aller de l'avant ensemble.

L'action se fait réaction, à la limite de l'allergie. On le voit fuir la présence de personnages de cinéma rentrant dans son univers par métalepse. Hypersensibilité et misanthropie se mêlent avec humour, et si la vie des autres apparaît gênante, celle de Michaux paraît, en conséquence, invivable. Cercle vicieux.

Face à cette aporie, la recherche scientifique s'organise. le remède qu'elle propose est de manipuler l'identité. On passe à la deuxième personne du pluriel, sur un ton détaché, chirurgical (synthétisé par l'expression « tranches de savoir », qui évoque à la fois l'art de l'aphorisme et le mouvement du scalpel tranchant dans le vif). D'inquiétants savants semblent introduire un corps étranger dans les pensées d'une tierce partie, afin de manipuler ses états d'esprit. On commençait à peine à s'y retrouver que tout a déjà changé. « Même si c'est vrai, c'est faux ».

Conséquence kafkaïenne de ces métamorphoses : Michaux va vivre sa vie chez les insectes. C'est parti pour une lune de miel grotesque avec des nymphe(tte)s gluantes. Bien sûr, cela mènera aussi à rencontrer une guêpe parasitoïde, une espèce qui a inspiré le mode de reproduction de l'alien du film du même nom. Une fois introduite en soi, l'altérité peut rejaillir sous des formes peu ragoûtantes.

Qu'importe, Michaux est prêt à explorer celle-ci jusque dans un au-delà aussi intangible qu'inquiétant. Nous y écoutons parler une ombre féminine, écho du principe féminin nommé « Anhimaharua » plus tôt dans le recueil. Elle poursuit sa chute dans l'obscurité d'un sommeil toujours plus profond, qui se confond ici avec la mort. Et elle nous fait le récit au présent des phénomènes qui l'entourent, comme une sorte de retransmission en direct du Bardo Thodol sur les ondes d'une radio alien. Yama le dévoreur est remplacé par des essaims d'ombres prédatrices. Dans cet univers anxiogène fait de dépossession, le savoir ne peut être que transitoire. On ouvre alors son transistor pour capter les fréquences de la vérité du moment, juste avant son engloutissement imminent. La muse malade de Michaux fonde une démarche poétique qui marquera entre autre Philippe Jaccottet (il reprendra la citation suivante dans son Entretien des Muses) : « Savoir. Autre savoir ici. Pas savoir pour renseignements. Savoir pour devenir musicienne de la vérité. »
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AGIR, JE VIENS

Poussant la porte en toi, je suis entré
Agir, je viens
Je suis là
Je te soutiens
Tu n'es plus à l'abandon
Tu n'es plus en difficulté
Ficelles déliées, tes difficultés tombent
Le cauchemar d'où tu revins hagarde n'est plus
Je t'épaule
Tu poses avec moi
Le pied sur le premier degré de l'escalier sans fin
Qui te porte
Qui te monte
Qui t'accomplit


Je t'apaise
Je fais des nappes de paix en toi
Je fais du bien à l'enfant de ton rêve
Afflux
Afflux en palmes sur le cercle des images de l'apeurée
Afflux sur les neiges de sa pâleur
Afflux sur son âtre.... et le feu s'y ranime


AGIR, JE VIENS
Tes pensées d'élan sont soutenues
Tes pensées d'échec sont affaiblies
J'ai ma force dans ton corps, insinuée
...et ton visage, perdant ses rides, est rafraîchi
La maladie ne trouve plus son trajet en toi
La fièvre t'abandonne


La paix des voûtes
La paix des prairies refleurissantes
La paix rentre en toi

Au nom du nombre le plus élevé, je t'aide
Comme une fumerolle
S'envole tout le pesant de dessus tes épaules accablées
Les têtes méchantes d'autour de toi
Observatrices vipérines des misères des faibles
Ne te voient plus
Ne sont plus


Equipage de renfort
En mystère et en ligne profonde
Comme un sillage sous-marin
Comme un chant grave
Je viens
Ce chant te prend
Ce chant te soulève
Ce chant est animé de beaucoup de ruisseaux
Ce chant est nourri par un Niagara calmé
Ce chant est tout entier pour toi


Plus de tenailles
Plus d'ombres noires
Plus de craintes
Il n'y en a plus trace
Il n'y a plus à en avoir
Où était peine, est ouate
Où était éparpillement, est soudure
Où était infection, est sang nouveau
Où étaient les verrous est l'océan ouvert
L'océan porteur et la plénitude de toi
Intacte, comme un œuf d'ivoire.


J'ai lavé le visage de ton avenir
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JE RAME

J'ai maudit ton front ton ventre ta vie
J'ai maudit les rues que ta marche enfile
Les objets que ta main saisit
J'ai maudit l'intérieur de tes rêves

J'ai mis une flaque dans ton œil qui ne voit plus
Un insecte dans ton oreille qui n'entend plus
Une éponge dans ton cerveau qui ne comprend plus

Je t'ai refroidi en l'âme de ton corps
Je t'ai glacé en ta vie profonde
L'air que tu respires te suffoque
L'air que tu respires a un air de cave
Est un air qui a déjà été expiré
Qui a été rejeté par des hyènes

Le fumier de cet air personne ne peut plus le respirer

Ta peau est toute humide
Ta peau sue l'eau de la grande peur
Tes aisselles dégagent au loin une odeur de crypte

Les animaux s'arrêtent sur ton passage
Les chiens, la nuit, hurlent, la tête levée vers ta maison
Tu ne peux pas fuir
Il ne te vient pas une force de fourmi au bout du pied
Ta fatigue fait une souche de plomb en ton corps
Ta fatigue est une longue caravane
Ta fatigue va jusqu'au pays de Nan
Ta fatigue est inexprimable

Ta bouche te mord
Tes ongles te griffent
N'est plus à toi ta femme
N'est plus à toi ton frère
La plante de son pied est mordue par un serpent furieux

On a bavé sur ta progéniture
On a bavé sur le rire de ta fillette
On est passé en bavant devant le visage de ta demeure

Le monde s'éloigne de toi

Je rame
Je rame
Je rame contre ta vie
Je rame
Je me multiplie en rameurs innombrables
Pour ramer plus fortement contre toi

Tu tombes dans le vague
Tu es sans souffle
Tu te lasses avant même le moindre effort

Je rame
Je rame
Je rame

Tu t'en vas, ivre, attaché à la queue d'un mulet
L'inverse comme un immense parasol qui abscurcit le ciel

Et assemble les mouches
L'ivresse vertigineuse des canaux semicirculaires
Commencement mal écouté de l'hémiplégie
L'ivresse ne te quitte plus
Te couche à gauche
Te couche à droite
Te couche sur le sol pierreux du chemin
Je rame
Je rame
Je rame contre tes jours

Dans la maison de la souffrance tu entres

Je rame
Je rame
Sur un bandeau noir tes actions s'inscrivent
Sur le grand œil blanc d'un cheval borgne roule ton avenir

Je rame
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AGIR, JE VIENS

Poussant la porte en toi, je suis entré
Agir, je viens
Je suis là
Je te soutiens
Tu n'est plus à l'abandon
Tu n'es plus en difficulté
Ficelles déliées, tes difficultés tombent
Le cauchemar d'où tu revins hagarde n'est
plus
Je t'épaule
Tu poses avec moi
Le pied sur le premier degré de l'escalier
sans fin
Qui te porte
Qui te monte
Qui t'accomplit

Je t'apaise
Je fais des nappes de paix en toi
Je fais du bien à l'enfant de ton rêve
Afflux
Afflux en palmes sur le cercle des images
de l'apeurée
Afflux sur les neiges de sa pâleur
Afflux sur son âtre… et le feu s'y ranime

AGIR, JE VIENS
Tes pensées d'élan sont soutenues
Tes pensées d'échec sont affaiblies
J'ai ma force dans ton corps, insinuée
…et ton visage, perdant ses rides, est
rafraichi
La maladie ne trouve plus de trajet en toi
La fièvre t'abandonne

La paix des voûtes
La paix des prairies refleurissantes
La paix rentre en toi

Au nom du nombre le plus élevé, je t'aide
Comme une fumerolle
S'envole tout le pesant de dessus tes
épaules accablées
Les têtes méchantes d'autour de toi
Observatrices vipérines des misères des
faibles
Ne te voient plus
Ne sont plus

Équipage de renfort
En mystère et en ligne profonde
Comme un sillage sous-marin
Comme un chant grave
Je viens
Ce chant te prend
Ce chant te soulève
Ce chant est animé de beaucoup de
ruisseaux
Ce chant est nourri par un Niagara calmé
Ce chant est tout entier pour toi

Plus de tenailles
Plus d'ombres noires
Plus de craintes
Il n'y a plus de trace
Il n'y a plus à en avoir
Où était peine, est ouate
Où était éparpillement, est soudure
Où était infection, est sang nouveau
Où étaient les verrous est l'océan ouvert
L'océan porteur et la plénitude de toi
Intacte, comme un œuf d'ivoire.

J'ai lavé le visage de ton avenir.

p.29-30-31
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Chaque nuit, par condamnation, une petite
charrue laboure en ma moelle un petit
sillon, petit, petit, mais qui ne sera jamais
comblé, jamais plus.
Le labouré-vivant espère encore. Par
moments, la vie lui semble belle.
Cependant un nouveau soir étant arrivé,
un grand engorgement d'îles, que
j'accumulai secrètement en mon dos, crève dans
un immense frémissement. Il y a une minute
de bascule, une minute de profond
renverse-malheur, et la nuit s'achève dans
un gouffre d'oubli.
C'est alors que se trace, un peu plus profond,
le petit sillon chaque fois un peu plus profond.

p.85
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II – poésie pour pouvoir

À TRAVERS MERS ET DÉSERTS


[…]
Efficace comme le traître qui se tient à
l'écart entouré de ses hommes prêts à
tuer
Efficace comme la nuit pour cacher les
objets
Efficace comme la chèvre pour produire des
chevreaux
Petits, petits, tout navrés déjà

Efficace comme la vipère
Efficace comme le couteau effilé pour faire
la plaie
Comme la rouille et l'urine pour l'entre-
tenir
Comme les chocs, les chutes et les secousses
pour l'agrandir
Efficace est mon action

Efficace comme le sourire de mépris pour
soulever dans la poitrine du méprisé
un océan de haine, qui jamais ne sera
asséché
Efficace comme le désert pour déshydrater
les corps et affermir les âmes
Efficace comme les mâchoires de l'hyène
pour mastiquer les membres mal
défendus des cadavres
EFFICACE
Efficace est mon action

p.27-28
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Vidéo de Henri Michaux
Sacha Guitry, Victor Hugo, Henri Michaux, Raymond Devos... Tous ces noms furent les auteurs de textes illustres, qu'André Dussollier convoque et ressuscite sur la scène des Bouffes parisiens depuis le 18 janvier. Rencontre avec cet acteur à trois césars et récompensé du Molière du comédien.
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