Afin d’éviter de sombrer dans une déprime déprimante, je renonce à pousser plus loin l’inspection de mes imperfections et me contente de me savonner rapidement au Mixa Bébé, sans même prendre le temps de me laver les cheveux.
Je n’ai pas des yeux de biche. Mes iris ne sont pas verts, mon regard ne pétille pas. Dois-je rappeler que c’est janvier ? À Paris ? Ma peau est tout sauf laiteuse et inutile de dire qu’aucune tache de rousseur ne s’y trouve – Dieu merci, celles dues à la vieillesse n’y ont pas encore fait leur apparition. Aucun atout dans ma poche, donc, avec mes yeux marron, mes cheveux de la même teinte, plats comme une plage du Nord, et ma bouche… banale, à défaut d’autres termes pour la décrire.
J’ai les fesses trop plates pour cette sortie floridienne, trop rebondies pour les brasseries de la capitale. Je rejette la couette d’un geste vif, envoie valser le roman dans les pages duquel la jolie veuve finira après bien des péripéties par embrasser l’homme d’affaires qui, je n’en doute pas, a ses propres blessures au cœur l’empêchant de reconnaître que les sentiments qui l’animent ne sont pas que charnels.
Des filles comme moi, quoi. Naturelles, pas apprêtées, jolies, talentueuses. On papoterait en riant, émiettant un millefeuille à l’heure du thé, sur une terrasse ensoleillée de Saint-Germain-des-Prés.
En fait, je ne suis ni mince, ni maigre. Pire, je dois faire appel à toute ma volonté pour garder ce poids de forme qui me classe juste dans la moyenne nationale. Dans mon déguisement de fille pseudo -cool et affamée, j’arrive seulement à me donner l’air d’une quadra qui ne prend pas assez soin d’elle.
Encore une héroïne douce et mince. C’est cette minceur qui m’énerve particulièrement. Les grosses n’ont jamais droit au bonheur. Même dans le bouquin de Pancol que j’ai dévoré au coin du feu à Noël, sa Joséphine ne finissait par emballer son bellâtre qu’une fois quelques kilos perdus. Sérieux, quelle déception !
Si j’avouais au monde entier que je suis accro à ce type de littérature ? Je pourrais organiser une soirée type coming out où je sortirais mes romans à couverture rose du placard en hurlant : « Je veux du bonheur ! Je veux qu’on m’offre des fleurs ! Qu’on me tienne la porte au restaurant, qu’on me caresse la joue avec douceur en me susurrant d’une voix de velours à l’oreille “ma chérie, tu es merveilleuse” ! Je veux qu’on m’aime au premier regard et que mon amoureux sente bon ! »
Mark ne détestait rien de plus qu’être déçu par les apparences. Mais les commissures de ses lèvres s’étirèrent en un large sourire.
"Pour la première fois depuis longtemps, je me dis qu'aimer est possible, qu'être aimée aussi. Pour la première fois depuis longtemps, il me semble entendre dans le lointain des sabots frappaient le pavé parisien."