Lola, sérieux !

Je le regarde dormir. Il a l'air si fragile, à ma merci, ainsi abandonné. Il gigote un instant, comme s'il se savait observé. Sa moustache frémit légèrement et je souris. J'ai envie de le caresser encore. Je ne m'en lasserai jamais. Sa peau que je sens frissonner sous mes doigts, ses soupirs de plaisir, la manière qu'il a de s'étirer en soulevant une paupière paresseuse.
Je sais, c'est le début de la fin, la marque indélébile de la vieille fille même plus en devenir. Mais j'ai craqué : j'ai pris un chat.

"Cher Prince Charmant, quand tu m'auras enfin trouvée, je commencerai par t'en coller une : on ne fait pas attendre une dame."

Certes, il se peindrait sûrement sous les traits d’un super héros, mais le bas de chausse et la fraise en moins. Plus Men in Black que mari de la petite sirène, quoi. Plus Bruce Willis que Garou.

Il me reste mes rêves et mes souvenirs – et encore, ces derniers s’érodent au fil des ans. Je sais que j’ai beaucoup aimé, beaucoup souffert. Imprimées quelque part dans un tiroir de mon cerveau, il y a ces images de moi où je me roule par terre en pleurant, pliée en deux, le poignard de la rupture fiché dans mes entrailles, me vidant de mon sang sur le parquet ciré. Oh oui, j’ai cru mourir, je l’ai souhaité. Mon corps s’en souvient. Mais je suis maintenant capable de raconter l’histoire comme si elle était arrivée à quelqu’un d’autre, ou comme si je l’avais lue quelque part. Elle appartient à mon passé et il est vraiment grand temps que je me concentre sur mon avenir.

Notre relation s’est figée depuis quelques années dans ces rôles que la vie nous a distribués. Je ne pense pas qu’aucune de nous deux ne soit dupe, mais cela nous convient.

Sans que je m’en rende bien compte – il faut dire qu’à dessiner toute la journée, on ne se voit pas vieillir –, le temps a filé. À maintenant trente-neuf ans, je me contente de regarder grandir les enfants des autres, sans trop de regrets. Mensonge flagrant / hypocrisie totale : je déteste les gamins et préfère ne pas m’interroger tous les matins au réveil sur l’état de délabrement de mes ovules agonisants. Et même si je rêve de déclarations enflammées, de soirées d’un romantisme fou, dans la vraie vie, j’ai bien du mal à m’abandonner.

C’était dans le silence que nous nous comprenions le mieux. Lorsque nos mains s’effleuraient, lorsqu’il me relevait le menton. Tout était dit. Nos corps, ensuite, prenaient le relais, se racontant des histoires merveilleuses, parlant une langue qui semblait écrite pour eux.

Nous étions jeunes. La vie nous fatiguait. Nous brûlions la chandelle par les deux bouts. La ville s’ouvrait à toutes nos folies, la Bosnie enflammait nos conversations, Clinton allait sauver l’Europe. Arnaud, lui, sentait bon le sable chaud. Il était ardent, impliqué, politisé. Il s’engageait, militait auprès d’Amnesty International et de bien d’autres associations, tandis que nous préférions refaire le monde une bière à la main, assis en cercle au bout de l’île Saint-Louis dans la douceur du printemps, ou dans la chambre de l’un ou de l’autre lors des soirées plus fraîches. Je crois que je n’ai jamais vraiment pris au sérieux ses longues diatribes, son engouement pour la lutte. Nous commencions tous à nous façonner une image, à tenter d’offrir aux autres un portrait de nous qui soit le plus flatteur possible.

Certes, des mères, des sœurs, des épouses avaient eu à pleurer un proche, un frère, un mari, un fils. Toujours, elles avaient été prévenues que l’être aimé n’était plus. John, lui, semblait tout simplement s’être volatilisé. Il ne restait plus aucune trace de son passage sur notre Terre, sauf dans le cœur de Molly, incapable de renoncer au fol espoir que son fiancé finisse par lui revenir.

Afin d’éviter le moindre regret, j’en ai conclu que les vacances ont toujours une fin et que c’est probablement ce qui fait leur plus grand charme. Il en va de même des amours éphémères. Par définition, elles ne sont pas appelées à durer.