Aux racines du religieux: Jung et la religion

Le monothéisme et le polythéisme sont deux formes différentes et complémentaires qui nous racontent l'histoire des formes divines par l'intermédiaire desquelles les hommes sont entrés en contact avec l'archétype Dieu.
Ramakrishna aimait à dire: "Les hommes tracent les limites de leurs champs en employant des barrières et des bornes, mais nul ne peut délimiter le ciel immense qui s'étend sur nos têtes, le ciel indivisible qui nous entoure et nous renferme tous."

Le premier dialogue formel entre religions se fait à Chicago en 1893. Les catholiques et les presbytériens décident d'ouvrir un "Parlement mondial des religions". L'entreprise est une réusiite totale, seize confessions différentes exposent leurs points de vue sur leurs propres croyances. Mais si le succés est grand du point de vue oecuménique, le plus intéressant de l'événement est un phénomène d'origine inconsciente, imprévu et inespéré: une vague d'orientalisme va envahir l'occident qui se trouve fasciné par la doctrine d'un moine indien, le Swami Vivekananda. Son absence de dogmatisme et son esprit syncrétique séduisent un occident ancré dans la certitude de ses dogmes. A travers le jeune Vivekananda c'est la doctrine de son maître le moine Ramakrishana qui va s'introduire dans le monde occidental.

En occident pendant les siècles de la "chrétienté" l'unité divine est la seule forme véritable admise par la religion, le polythéisme étant considéré comme une erreur grossière et démoniaque qu'il faut détruire par la prédication et par l'épée. L'orient par contre ne s'oppose pas à la pluralité des formes, au contraire il les considère comme des facettes différentes de l'indicible unité, qui se cache derrière elle.

Dans le langage courant "symbolique" s'oppose à "réel". Du point de vue psychanalytique "symbolique" est ce qui rend présent une réalité intérieure ou extérieure, réalité avec laquelle celui qui regarde le symbole, entre en communion. (...)
Il ne faut pas confondre le symbole avec le signe qui nous renvoie à une réalité hétérogène et distante, comme le drapeau à la patrie, la fumée au feu. Le symbole, tout en n'étant pas le signifié, le laisse se manifester et entrer en contact avec la conscience.

Un psychologue doit se situer au-dessus des guerres de religions et regarder toutes les formes religieuses avec le même respect et intérêt qu'il doit avoir pour toute manifestation de la psyché. Il doit toujours se souvenir de l'attitude jungienne face à la prétention de chaque confession à se considérer l'unique et la seule véritable.

A l'époque ancienne où les voyages étaient très réduits, les cultures et religions se trouvaient fermées sur elles-mêmes, leurs contacts étaient assez limités et souvent cruels: guerres et destructions. Aujourd'hui l'existence d'autres religions et d'autres civilisations dans un monde où l'information audiovisuelle règne en maîtresse est une évidence que personnne ne peut ignorer. L'histoire et l'exemple des hommes comme Gandhi ; la découverte et la vulgarisation des écrits mystiques : maîtres soufis, hindouistes ou bouddhistes, nous amène à reconnaître avec humilité que la sagesse ou la sainteté, ne sont pas le privilège exclusif de notre culture et de notre religion. Ce contact avec les autres croyances loin d'être négatif est une source de richesse et a le mérite de nous sortir de la mentalité "d'homme occidental", qui a voulu à tout prix imposer sa propre culture aux peuples qu'il avait colonisés. Sortir de nos certitudes nous introduit dans une dynamique d'interrogation et de recherche de la vérité. La confrontation avec les autres civilisations, nous met en question et nous amène à un dialogue qui nous conduit à une meilleure compréhension des valeurs de notre culture.

La culture, ou l'appartenance à une culture, peut tendre un piège à l'homme : avoir la prétention de posséder toute la vérité; dans ce cas-là, les autres civilisations et religions sont forcément fausses et logiquement n'ont point le droit d'exister puisque leur existence est un mensonge qui, en se donnant l'apparence de la vérité, peut mettre en danger la croyance propre. Telle fut la prétention de notre civilisation chrétienne telle que l'exprimait un aphorisme latin du moyen âge :"Extra Ecclesia nulla salus". Cette fermeture intransigeante qui nous a donné les guerres de religion, les inquisitions et les délits d'opinion, est malheureusement loin d'être morte. Les intégrismes religieux et les extrémismes en général, transforment la religion et la culture en institutions mortifières et dangereuses, et ses membres , souvent consentants, sont soumis à un dogmatisme tyrannique et meurtrier. En face de cet extrémisme se situent les positions d'ouverture, dans lesquelles sans renier rien d'essentiel à sa propre croyance, on s'ouvre à tout ce qu'il y a de positif et d'utile dans les autres civilisations, où nous trouvons des valeurs communes qui nous réconfortent et un échange de valeurs complémentaires qui nous enrichissent mutuellement.

Chaque peuple et chaque époque essaye de répondre à sa façon au même phénomène "numineux" et ainsi exprime son désir de plénitude et d'absolu en des formes compréhensibles pour son époque, son développement culturel. Pour cette raison le discours religieux ne peut être que limité et partiel. L'histoire des religions ou, ce qui est la même chose, l'histoire humaine de Dieu, ne peut se comprendre que comme une dynamique évolutive. La révélation de l'idée est semblable à l'acquisition du langage, qui se fait par un apprentissage lent et dur. De même que l'enfant apprend à parler et dans la parole reçue incorpore le savoir de son peuple, ainsi l'humanité apprend peu à peu la "parole de Dieu" devenue parole humaine. L'histoire des religions est tout simplement l'histoire humaine de l'idée divine.

L'archétype est comme une matrice des images qui nous permet à travers elles d'entrer en contact avec le monde réel et imaginaire. Jung écrit/ "Un archétype -dans la mesure où il est possible d'en constater empiriquement l'existence- est une imago. Une imago c'est, comme la notion même l'indique, une image de quelque chose. Une image archétypique est comme le portrait d'un inconnu dans un musée. son nom, sa biographie, son existence en général sont inconnus, et pourtant nous admettons que la peinture représente une personne qui a vécu jadis, un homme qui avait une réalité. On trouve de Dieu des images innombrables, mais l'original lui, est introuvable. Il est pour moi hors de doute que derrière nos images se cache l'original, mais il nous est inaccessible."

Le psychologue d'enfants connaît bien l'importance et le besoin d'images "transitionnelles". Images de transition, comme leur nom l'indique, que l'enfant crée pour symboliser la présence de la mère et pouvoir ainsi supporter la souffrance de la séparation nécessaire: les "nounours", les "doudous", les coussins et oreillers que le petit trimbale partout avec lui, ont la propriété de soulager la souffrance et permettre le "sacrifice" qu'est la séparation d'avec la mère. Images actives et nécessaires jusqu'au jour où l'enfant, renonçant à la fusion avec la mère, peut s'en séparer; alors ses images libérées des projections maternelles, trouvent à nouveau leur signification primitive de simples jouets, coussins ou couvertures.
Analogiquement il y a dans l'histoire des peuples un processus psychologique semblable, qui va des représentations magiques-polythéistes où l'idole a une vie réelle et mystérieuse à l'interdiction totale de la représentation divine, condition propre aux religions monothéistes qui seraient, dans ce cas, des formes adultes de religion ou comme le disaient les évolutionnnistes: "la forme la plus paraite de l'expression religieuse."