AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de PatriceG


Je parlais hier pour un autre livre d'Henri Miller de la qualité des interviews que celui-ci a accordées à certains de ses amis, en voici une longue interview de 125 pages chez Stock en 1970 accordée à Georges Belmont, de son vrai nom Pelerson, d'origine américaine, installé à Paris après-guerre, normalien, traducteur, éditeur de son état. L'interviewer a travaillé sur Joyce, Beckett, Gide qu'il côtoie et naturellement Henri Miller dont il est question ici. Il a traduit en outre de grands auteurs américains à succès : Chaise, Irish, Waugh, ainsi que Burgess..

Une sorte d'identification émerge dans ce livre où finalement deux hommes qui se connaissent bien, des mêmes origines se retrouvent. On ne perd pas de temps, on va droit au but, les présentations sont faites depuis longtemps entre les deux hommes qui ont fait de leur vie, une vie consacrée à la littérature et, pour le traducteur, à ses plus éminents représentants. Georges Belmont restera en France, Henri Miller regagnera l'Amérique. le coeur du livre cela dit, son objet, sa vedette, c'est Henri Miller.
GB : Mais pourquoi cette persistance du personnage de Mona dans l'essentiel de vos oeuvres ?
HM : Pourquoi ? Parce que, quand j'ai commencé à écrire, dix ans après .. quand j'ai commencé à écrire, ici, à Paris, j'ai voulu raconter mes souffrances pendant les sept années - oui, seulement sept années - où j'avais vécu avec elle? Et j'ai cité Abélard. Oui c'est dans Capricorne, je crois .. J'ai cité les mots d'Abélard où, parlant de lui-même, il déclare qu'il a souffert plus qu'aucun autre homme au monde. Je pensais que, moi aussi, j'avais souffert comme lui.. plus qu'aucun autre homme au monde. Et je n'avais envie de parler que de ces sept années. mais je ne sais quel esprit s'est emparé de moi et je me suis lancé toujours plus au large, si je puis dire, malgré moi. J'ai débordé !
En même temps, cela n'empêche pas que, visiblement dans mes livres, tout soit bien concentré sur ces sept années, enfermé dans elles. Je ne dis pas grand chose des années qui suivent, quand on y pense. Je parle de mon enfance, des années qui précèdent, mais pas de celles qui suivent ! "

Henri Miller raconte cela comme s'il avait fait un séjour en prison de 7 ans et qu'il revenait sur cette période de manière obsessionnelle comme le tolar rattrapé par son passé, poussé par le syndrome de Stockholm.

Page d'après on peut lire ceci : C'est par une sorte de désespoir, vous savez, que je suis devenu écrivain .. après avoir tenté de faire tout sauf cela. Tout oui, j'ai fait plus de cent métiers avant d'en arriver là, et finalement je me suis dit : " Tu n'es bon à rien ; pourquoi , au fond n'essaierais-tu pas d'être un écrivain"

Je me délecte quand je lis sous la plume d'Henri le voir répondre à une question par une question de mot ou de pensée d'auteur qui éclaire à la fois sur son humilité et sa culture. On a le sentiment de le voir se fondre dans mille autres personnalités de renom, mais il est bien clair qu'il tire la couverture vers soi, comme on dit. Il n'y a là ni dérobade, ni bien sûr effacement de personnalité, bien au contraire. J'y vois aussi un souci de clarté dans son propos et d'impériosité, en sachant que sa vraie vie est la passion pour tous ces personnages dont il nous abreuve à satiété, mais voyons plutôt :
"L'autre soir, relisant les pages d'André Gide sur Dostoïevski, j'ai été frappé en voyant que Dostoïevski lui aussi, a toujours méprisé l'intellect. IL dit même que c'est cela le diable.. ses personnages essentiels, comme le prince Muichkine, sont tous des êtres qui placent le sentiment plus haut que la tête. Oui c'est la tête la grande tentation .."

En fait, je ne vois pas ici d'interview au sens journalistique, quelque peu galvaudé, je vois de la littérature empreinte de réflexions profondes qui consacrent un livre à part entière.

Oui il est rare de voir une interview faite avec une telle intensité. Je ne vois pas d'autre explication que celle d'un homme qui parle admirablement de lui-même, avec les mots qu'il faut, comme un auto-portait sans concession, magnifiquement croqué, avec tout ce sel de la terre, et cette sagesse du coeur.

Avec Henri, désolé, mais j'y trouve ce que j'ai envie d'y voir en littérature, c'est-à-dire rarement, toute la dimension d'un homme face à son destin qui revient sur lui-même avec une force incroyable sans doute due au fait qu'il a fini par vaincre ses démons et les obstacles de la vie qui ne l'ont pas épargné, loin s'en faut.
Commenter  J’apprécie          120



Ont apprécié cette critique (11)voir plus




{* *}