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Critique de Lucilou


Je n'ai pas eu la chance (pas encore, je ne perds pas espoir !) de voir « La Chasse aux Sorcières » sur les planches. En revanche, j'en ai dévoré l'adaptation cinématographique de 1996 signé Nicholas Hytner. Je devais être au lycée quand l'une de mes cousines, professeur d'anglais, m'a prêté son dvd parce qu'à l'époque, passant de « Harry Potter » aux histoires de sorcellerie plus « réelles », je dévorais tout ce qui me tombait sous la main sur le sujet.
Ainsi pour moi « La Chasse aux Sorcières » c'est avant tout Winona Ryder fascinante et vénéneuse, délicieusement ambiguë, dans le rôle d'Abigaïl Williams. C'est l'intensité du jeu de Daniel Day-Lewis qui m'a faite tomber amoureuse de John Proctor. Ce sont cette musique lancinante, ces décors brumeux et oppressants. C'est cette atmosphère délétère, empoisonnée. C'est le malaise, proche de la peur, provoqué par ce film, vu et revu des dizaines de fois, aussi angoissant que séduisant.
Bien sûr, j'étais vaguement au courant qu'il s'agissait au départ d'une pièce de théâtre, mais étrangement, cela ne m'avait pas parlé plus que cela à l'époque. La preuve en est qu'il m'a fallu des années avant de lire la pièce…
Je me suis longtemps demandé pourquoi et j'en suis arrivée à la conclusion que le film était déjà si fiévreux, si étouffant, si puissant enfin qu'il se suffisait à lui-même. de plus, les personnages convoqués étant des personnages historiques, l'intrigue empruntant tant aux travaux émérites des historiens (je pense par exemple à la théorie des « propriétaires terriens » défendue dans la pièce par Gilles Corey expliquant au juge Danforth que les accusés possèdent tous des terres brigués, comme par hasard, par les accusateurs et qui semble aujourd'hui l'une des pistes pouvant expliquer cette crise d'hystérie collective…) que je pense m'être concentrée sur cet aspect-là plutôt que sur l'aspect dramatique…
Et puis enfin.
L'argument brillamment écrit par Arthur Miller (et tout aussi brillamment mis en scène par Hytner donc) n'est donc pas neuf et prend sa source dans un pan bien obscure de l'Histoire Américaine. Nous sommes à Salem, petite ville de la Nouvelle-Angleterre, en 1692. Un matin de printemps, la fille du révérend Parris, Betty, ne parvient pas à se lever. Elle gît, inerte, sur son lit et personne ne parvient à la tirer de sa léthargie : ni son père, ni Tituba l'esclave de la maisonnée et encore moins sa cousine Abigaïl. Quelques maisons plus loin, il en est de même pour la fille Putnam. La panique s'empare alors de la communauté puritaine, régit par d'innombrables codes et surtout par une quantité invraisemblable de non-dits et de rivalités.
On apprend bientôt que la veille de ce matin funeste, Betty et une dizaine d'autres jeunes filles auraient été aperçues dansant nues dans la forêt : « Sorcellerie ! » crie alors la ville en émoi.
On raconte ensuite que les filles seraient les victimes du démon qu'elles dénoncent à corps et à cri, accusant à tous va ses suppôts.
On murmure qu'Abigaïl Williams mènerait la danse, le Saint Sabbat puritain, parce qu'elle aurait trop aimé John Proctor et qu'elle aurait souhaité la mort de son épouse pour l'avoir enfin.
On dit que Tituba a gardé de sa Barbade des pratiques interdites au parfum de soufre.
On crie, on hurle, on appelle les juges. On condamne, on torture, on dresse les potences. On étouffe, on meurt jusqu'à la vingt-cinquième exécution, jusqu'à ce qu'enfin le sang échauffé s'apaise et que le vent tourne.
La pièce est -mais pouvait-il en être autrement ?- magistrale et haletante, hypnotique tout en étant un parangon de maîtrise et de structure. Tout est à sa place, bien agencé, sans fioritures. La langue, d'un classicisme pur, très épurée, presque austère, contribue paradoxalement à l'atmosphère lourde, parfois hystérique du drame qui se joue.
Drame historique, l'intérêt de « Les Sorcières de Salem » ne réside pas uniquement dans ce contexte-là mais par la dimension contemporaine que lui a conféré Miller, se servant de la tragédie de Salem pour en 1953, date de création de sa pièce, dénoncer les dérives (et le mot est faible !) du maccarthysme, cette autre « chasse aux sorcières » qui ébranla les Etats-Unis. Parallèle troublant, intelligent, convainquant, la pièce est aujourd'hui encore une plaidoirie puissante contre l'hypocrisie, la manipulation de masse, la bêtise, l'obscurantisme, le mensonge et le fanatisme. Elle est encore nécessaire, elle nous interpelle et nous frustre, nous révolte encore. Elle poignarde et émeut encore, et ce n'est peut-être pas si mal.
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