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Critique de Sarindar


Il y a des livres qui vous entraînent si loin de tout et si près de vous-mêmes en peu de temps que vous ne regretterez pas de les avoir pris pour compagnons éphémères, car, en réalité, ils ne cesseront de vous accompagner, en profondeur, beaucoup plus longtemps que vous ne pensez, tout au long du chemin.
A quoi est-on convié ici ? Au voyage immobile du solitaire qui a beau parcourir le monde qu'il ne s'en trouve pas moins seul à la fin du périple comme il le fut au cours de celui-ci, malgré maintes rencontres et maintes illusions. C'est de nous dont il s'agit, de chacun d'entre nous.

Ce livre, O Solitude, de Catherine Millot, j'en dois la découverte à Piatka, que je remercie, mais que je ne peux égaler dans la description concise et saisissante qu'elle en a donnée et qui a éveillé mon envie et ma curiosité.
Je vais simplement suivre mon fil de lecture.

Quelle est la typologie de ce livre ? Sous quelle forme le ranger ? S'agit-il de simples confidences, d'analyse, d'auto-analyse, du récit de petits faits réels de la vie mêlés à de la fiction, à des réminiscences, à des réflexions et à des références et allusions aux oeuvres de grands artistes ou penseurs, dont Roland Barthes ? Je serais bien embarrassé pour répondre, car les pages de cet ouvrage tiennent de tout cela à la fois.
Il y a autant de considérations sur l'amour, sur l'art que sur la solitude éprouvée ou réelle. Est-ce un hasard ? Évidemment pas. Car c'est l'adulte qui revient sur des impressions connues depuis l'enfance et dans lesquelles la solitude a à voir avec tous les états de conscience et ce à travers toutes les étapes de la vie.

La solitude, c'est la douleur lancinante qui se manifeste d'avoir perdu un être cher. Il y a aussi la pénible solitude des personnes âgées que l'on délaisse. Mais l'auteure n'a rien à faire de tout cet aspect de la solitude éprouvée dans les dernières lignes droites de l'existence, où il y a pourtant de la détresse et de la déréliction. Catherine Millot, dans l'absolu de l'idéal de ce pourrait être la vieillesse, libérée de tous les maux physiques, regarde cet âge de la vie comme la préparation, dans une acceptation sereine et totale, à la vraie solitude, que ce soit à celle d'avant ou à celle d'après la mort.

L'auteure d'O Solitude évoque la solitude par choix, une solitude heureuse, et replacée dans le rapport au temps, quand la mer sur laquelle vogue notre frêle esquif est - ou semble - calme. Mais c'est pour évoquer ensuite : A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust - une lecture pour temps de solitude ? - et rappeler les malheurs du solitaire qui souhaite ardemment mais vainement la présence de l'objet aimé dont l'absence fait mal. La solitude ici est remplie d'inquiétude et d'angoisse - soit exactement l'état dans lequel peut se trouver une personne amoureuse. Et à quoi cela tient- il ? Pour le savoir, il faudra attendre d'en arriver au deuxième tiers de notre lecture. Proust disait que le manque d'amour éprouvé dans l'enfance expliquait nos amours et notre façon d'aimer. Plus loin, on nous rappelle que lorsqu'un seul être est parti, qui tenait lieu de tout, et que tout paraît dépeuplé, on cherche à combler le vide par le premier être venu disponible, par celui qui se présente et qui s'offre à être là. On va alors s'enfermer avec cette personne dans une salle obscure, un cinéma, qui devient planche de salut. Là, dans le noir, se produisent le phénomène de la catharsis et le déversement des larmes retenues trop longtemps et qui parviennent à se libérer devant un spectacle qui les fait jaillir. Et puis, chez soi, on se laisse volontiers aller à un sommeil réparateur - recette qui permet d'ajouter un jour à l'autre et de se refaire. On peut d'ailleurs mener une vie d'intérieur par choix, dans une sorte de repliement sur soi qui n'en est pas tout à fait un, car l'on n 'est jamais totalement coupé du monde. Un lien avec l'extérieur est maintenu, ne serait-ce que par les bruits qui en proviennent, la luminosité, les variations de couleurs, les odeurs et par ce que les autres nous en rapportent. Sans bouger, le monde est à portée. Tient-on un monologue intérieur dans cet état qui virerait au cas pathologique sans l'experience de la lecture, qui peut mener à
celle de l'écrit. le plaisir de rester au lit, la "clinophilie" est une aventure inévitable lorsque s'ajoute à cela une maladie à traiter - ce qui est arrivé à Proust justement. Et, connaissant Proust, il ne pouvait y avoir renoncement à l'écriture. Catherine Millot fait ici l'apologie de l'immobilité qui libère la pensée. Et de s'interroger : "la solitude heureuse est-elle possible sans oeuvre ?" Et s'il est vrai que les livres que l'on écrit "sont le fruit d'une fécondation par d'autres livres", c'est donc que le Narrateur de la Recherche "écrit parce qu'il a lu". Se rappelle-t-on que la soif de lire, de connaitre, naît souvent à l'occasion d'une maladie, quand on est alité ? Vous souvient-il de pareils moments vécus durant votre enfance ? Et c'est ici que nous atteignons le noyau dur, le coeur du livre de Catherine Millot, qui nous démontre que "le goût de la solitude et du silence, comme celui de la lecture et de l'écriture est peut-être le goût de l'enfance", que tout ce que nous sommes, une fois devenus adultes, s'enracine là, et plus fondamentalement encore dans notre rapport à la mère, que nos expériences de la solitude, aujourd'hui et demain, s'expliqueraient à partir de l'expulsion du ventre de la mère par l'apprentissage progressif de l'obligation de se débrouiller seul. Alors, nos échecs amoureux participeraient eux aussi de cette logique de l'expulsion, de l'impression de l'abandon. Heureusement, il existe d'autres formes graduées et moins "traumatisantes" qui nous font faire de la solitude, mieux qu'une habitude, une envie, qui passe très bien dans une vie à deux, dans un couple, quand chacun a sa passion à satisfaire. "La solitude rêvée est une solitude entourée", rappelle Catherine Millot.

Comme en écho à tout cela, l'auteure nous décrit des lieux situés dans différents coins du monde, avec des "couchers de soleil beaux comme des incendies". Que la végétation y soit luxuriante ou qu'elle se fasse rase comme en un désert, les plus majestueux ou les plus dénudés des paysages, qui sont décrits superbement, n'en sont pas moins vides de toute présence humaine, hormis celle de la narratrice ou de l'observateur solitaire, pris comme exemple, William Henry Hudson, qui pourraient bien tous deux, au fond, être de trop en ces endroits et étrangers à toute cette nature qui les précède et qui leur survivra.

François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)

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