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Critique de DianaAuzou


Un hommeChristina Mirjol*****
Il y a des rencontres qu'on imagine et qui n'arrivent jamais, d'autres qu'on croit attendre mais à peine arrivées qu'elles s'en vont et on les laissent partir sans rancune sans regret. Il y en a d'autres qui nous font sentir que de tous les fils qui nous unissent, humains et non humains, certains sont précieux, ils se font ressentir comme un trouble et une envie d'y aller d'entrer dans la porte qui s'ouvre. le temps c'est un moment, l'espace va jusqu'à l'horizon et au-delà, et le temps racontera la suite. C'était ma rencontre avec Un homme, roman de Christina Mirjol, préfacé par le poète Joseph Danan.
Sans attente précise, la qualité de sa présence a ouvert un avenir, pas celui qu'on fixe à l'avance mais celui qu'on ressent, qui ne fait pas de promesses qui s'ouvre tout simplement.
Un livre qui m'a fait hurler de colère, contre le vent glacial qui s'engouffre dans des corps sans protection, contre l'indifférence qui se cache honteusement sous des masques ridicules, contre l'impuissance devant les misérables, et colère contre cette réalité qui continue d'exister. Mais l'amour que j'y ai trouvé est plus fort que ma rage, un amour immense que je garde pour les invisibles, les mis à l'écart, les oubliés.
Une pièce en trois actes où le personnage, un homme sans abri dans le froid glacial de février 2012, reste seul sur la scène, entouré par des passants mais invisible à leurs yeux. Un couple est saisi par cet homme en proie au froid, parlant à son seul compagnon de vie, un caddie. Les gens vont au cinéma à la Grande Bibliothèque, l'homme veut juste s'y abriter. « C'est un vent de colère très très noire, je te le dis, et qui vient de très loin. Car ce vent de malheur… qui est furieux, dit l'homme, qui n'a pas d'autre but, ce vent qui est furieux voudrait bien s'engouffrer, s'engouffrer dans une fissure. Ce vent voudrait bien s'engouffrer. »
Christina Mirjol, dans son écriture, sait cacher cette colère et rendre géante d'humanité une « vie minuscule ». Elle construit une tragédie d'où le pathos est éloigné. Les phrases sont courtes, des questions sans point d'interrogation se succèdent à la recherche de la chaleur, d'un retour qui ne vient pas, un homme parle à son caddie, comme s'il parlait à lui-même, ils sont deux à affronter le vent glacial, et tout aussi démunis. Répétitions de mots et phrases, du courage qu'il essaie de se donner en petits comprimés, en homéopathie, pour y croire, pour que ça fasse du bien, pour confectionner ce courage de rien , dans chaque répétition une énergie nouvelle, chaque répétition ressort enrichie de la chaîne et alimente à son tour la suivante et la renforce et la renouvelle. La loupe agrandit, l'échographie traverse une douleur profonde dont l'homme parle à son corps et à un caddie. Et le temps passe au ralenti, il s'arrête souvent comme paralysé par le froid et par la misère, attendri par un homme et son caddie, tous les deux présents, à peine vivants, complètement invisibles aux yeux des passants. « L'homme à la jambe démente et le petit caddie cahotent en bas de la rue, dans la nuit intolérable. Sous le grand vide cosmique, ils dansent comme des étoiles, brinquebalant leur malheur devant un parterre de témoins. »
« Les uns et les autres...ont besoin de changement et toujours de nouveauté. Leur insatisfaction est permanente, tu vois. Et nous qui sommes ici, perpétuellement logés au bord du même fossé, nous avons la rareté. Nous avons la rareté, dit l'homme à son caddie, sans l'ennui, tu comprends ?… Sans excès. Sans avenir. A force d'aller et venir, de refaire tous les jours ce qu'on a fait la veille, tout, nous le voyons mieux. Tout, nous le faisons mieux. Qui court après l'avenir ne connaît pas comme nous les fabuleuses distances du présent. »
Christina Mirjol est un oeil et une sensibilité, un regard qui saisit le détail, l'agrandit et le fait défiler en images répétées jusqu'au vertige, à l'obsession, jusqu'à ce qu'elles marquent ceux qui passent vite ou les aveugles volontaires. le point ne finit pas la phrase il la poursuit, l'ouvre, la multiplie à l'infini, éveille les endormis, encourage les fatigués, donne un répit à tous ceux qui en ont besoin. Chaque répétition, comme une graine d'espoir et de renaissance, garde debout les humbles, les fragilisés.
Comme « un sursaut de vie » qui nous est à chaque fois indispensable, Un homme l'est aussi, « il y a tant de beauté dans cette nécessité, tant de beauté, c'est vrai, et tant de cruauté. »
« On peut tout reconstruire à partir d'un seul mot, tout reconstruire, dit l'homme. La porte et derrière elle le monde tel qu'il était. »
« … nous arrivons, nous allons arriver. Nous approchons, dit l'homme, grâce à nos tâtonnements, grâce à notre courage... »
Christina, l'éternité fragile se trouve dans Un homme, sa permanence rendue par les mots de la littérature et par le geste humain. MERCI !
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