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Critique de jvermeer


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En juillet dernier, j'avais écouté sur France Culture une soirée exceptionnelle de poésies dites par Jean-Louis Trintignant sur une musique d'Astor Piazzolla. Cette lecture d'extraits du poème « La marche à l'amour », de Gaston Miron, dédié à sa fille Marie, m'avait profondément touché.
« L'homme rapaillé », « oeuvre vie » que j'ai relue, la plus célèbre du Québec et de la francophonie, était considérée par son auteur comme inachevée avant son décès en 1996.

Une tornade… Il s'agit du mot utilisé par l'auteur de la préface du livre, Édouard Glissant, pour désigner la poésie de Miron. Cette tornade en forme de poète est un débordement, une tornade aimante, tendre, qui se fait militante et gueulante parfois :
« Vous pouvez me bâillonner, m'enfermer
je crache sur votre argent en chien de fusil
sur vos polices et vos lois d'exception
je vous réponds non ».

La langue de Miron rapaille, rassemble les objets éparpillés, fragmentés et s'adresse à tous les rapaillés du monde, ceux qui souffrent, qui crient. L'auteur utilise de nombreux mots québécois : homme croa-croa, batèche, raqué, garroche, tête de tocson, peau de babiche… Je me suis laissé séduire par ces phrases décousues qui claquent, transpercent, et infusent un intense bonheur au lecteur.

Tous les thèmes sont abordés dans cette poésie bouleversante : luttes sociales, amours présents ou évanouis, histoire, turbulences du monde. L'homme doute : « Je suis un homme simple avec des mots qui peinent et je ne sais pas écrire en poète éblouissant ». Pourtant, le rythme, la syntaxe, le timbre, nous emportent dans un souffle puissant, sans retenue ni ménagement : « J'ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant ».

La terre natale de Miron est le Québec : « Je n'ai voyagé vers autres pays que toi mon pays ».
« Nous te ferons Terre de Québec
lit des résurrections
et des mille fulgurances de nos métamorphoses ».
J'ai souvent pensé à Aimé Césaire et sa poésie, long cri d'amour pour sa terre : « terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu'à la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir en guise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs des hommes »

C'est dans l'expression amoureuse que les mots de Gaston Miron sont magnifiques :
« Amour, sauvage amour de mon sang dans l'ombre
mouvant visage du vent dans les broussailles
femme, il me faut t'aimer femme de mon âge
comme le temps précieux et blond du sablier »

« La Marche à l'amour », le plus beau de ses poèmes, écrit par Gaston Miron entre 1954 et 1958, m'a à nouveau ensorcelé. Jean-Louis Trintignant en lisait encore des extraits avant de mourir. Joies et échecs amoureux sont rassemblés :
« Qu'importe je serai toujours si je suis seul
cet homme de lisière à bramer ton nom
éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles
mon amour ô ma plainte
de merle-chat dans la nuit buissonneuse
ô fou feu froid de la neige
beau sexe léger ô ma neige »

En mai 1981, Bernard Pivot accueille ce poète rebelle, sur le plateau d'Apostrophes. Miron crève l'écran : généreux, truculent, convaincant. Il lit quelques poèmes. Il parle avec des mots simples, une voix solide, roulant l'accent de son pays. Il se définit comme « le militant d'une langue et d'une culture », qui ressent la poésie comme « une passion d'être, un combat ».

Je ne suis pas près d'oublier l'exceptionnelle force évocatrice des mots du poète.

« Je suis sur la place publique avec les miens
La poésie n'a pas à rougir de moi
J'ai su qu'une espérance soulevait ce monde jusqu'ici »

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