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Daniel Maximin (Éditeur scientifique)Gilles Carpentier (Éditeur scientifique)
EAN : 9782020857673
502 pages
Seuil (02/02/2006)
4.35/5   17 notes
Résumé :
La disparition d’Aimé Césaire, il y a un an, donna lieu à un surprenant concert de louanges médiatiques. Les obsèques nationales qui lui furent rendues, l’empressement aussi unanime que tardif de la classe politique française, où perçait l’aveu d’une certaine mauvaise conscience, tout ceci ne doit pas faire oublier qu’Aimé Césaire fut longtemps tenu à la marge. Homme de colère plutôt que de compromis, il est avant tout l’auteur d’une œuvre poétique enfiévrée, enchan... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
La poésie de Césaire n'est pas des plus accessibles ! Résolument moderne, très teintée de surréalisme (au moins dans les premiers ouvrages de l'auteur) et véhiculant un double discours : engagement politique anticolonial d'une part ; ode à la beauté, et surtout l'identité noire, d'autre part.

Cet ouvrage regroupe la quasi totalité des écrits poétiques de Césaire. On pourrait juste regretter que ces textes ne soient pas datés : pour pouvoir les apprécier totalement, il faudrait parfois pouvoir se replonger dans le contexte historico-politique de leur naissance...

La lecture n'est pas toujours des plus fluides, mais ces moments laborieux sont rapidement effacés par des fulgurances poétiques qu'on a envie de déclamer.

Un recueil de référence !
Lien : http://michelgiraud.fr/2020/..
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NÈGRE JE SUIS, NÈGRE JE RESTERAI [*]

Difficile, pour ne pas dire parfaitement impossible, de chroniquer en si peu d'espace un tel volume, d'une poésie aussi essentielle que celle du regretté Aimé Césaire. Les éditions Seuil ont ainsi rassemblé dans cet ouvrage sobrement intitulé La Poésie tous les textes poétiques du grand auteur - mais aussi intellectuel, penseur de la fameuse "négritude", ainsi qu'homme politique puisqu'il fut député-maire de Fort de France cinquante-six années durant ! Un très mauvais exemple de cumul des mandats s'il en est, mais une fidélité sans faille aux intérêts de son île et de son peuple -.

L'homme de la révolte, de la création du concept et de la reconnaissance de la négritude, de l'anticolonialisme chevillé au corps et à l'esprit, l'homme du ressouvenir d'avec mère l'Afrique, l'ami du sénégalais Léopold Sédar Sanghor, professeur de lettre de Frantz Fanon, d'Édouard Glissant, promoteur de ce qui peut apparaître comme l'acte de naissance de la culture littéraire caribéenne des Antilles françaises, avec son impressionnant "Cahier d'un retour au pays natal" est tout entier dans ces quelques cinq cent pages de vers libres ou rédigées dans une prose poétique forte, tempétueuse, rythmiquement incroyable, la plupart du temps.

Voici, afin d'éviter de longs discours futiles, ce que ce recueil d'importance regroupe, dans l'ordre suivant et accompagné d'un extrait :

- Cahier d'un retour au pays natal (1939) :

«Au bout du petit matin, le vent de jadis qui s'élève, des fidélités trahies, du devoir incertain qui se dérobe et cet autre petit matin d'Europe...

Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait dans sa soupière un crâne de Hottentot ?»

- Les Armes miraculeuses (1946) :

Ça y est. Atteint. Comme frappe
la mort brutale. Elle ne fauche pas.
Elle n'éclate pas. Elle frappe silencieusement
au ras du sang, au ras du coeur,
comme un ressentiment, comme un retour de sang.
Floc.

- Poèmes de la revue Tropique :

EN RUPTURE DE MER MORTE (extrait)

Tu les reconnais, mon coeur, doucement délirants.

A fond de cale leurs croupissements musiquent de puanteurs moribondes et les hérauts du vent pluvieux montent, moissonnant lentement l'office d'un soleil pâle. Parfois une surgie allume dans la fumigation béate la fleur d'un pur sanglot, mais l'instant d'une lueur, la florale poussée dans la cendre, débile et nulle, s'affaisse...
Passez, soleil, les plaises sanglantes suffisamment allument leur purulement propitiatoire. Passez. Et maintenant qu'une force irrésistible préside à la métamorphose des paroles en étoile polaire.

- Cadastre (1961). Reprend Soleil cou coupé ainsi que Corps perdu :

FILS DE LA FOUDRE

Et sans qu'elle ait daigné séduire les geôliers
à son corsage s'est délité un bouquet d'oiseaux-mouche
à ses oreilles ont germé des bourgeons d'atolls
elle me parle une langue si douce que tout d'abord je ne
comprends pas mais à la longue je devine qu'elle m'affirme
que le printemps est arrivé à contre-courant
que toute soif est étanchée que l'automne nous est concilié
que les étoiles dans la rue ont fleuri en plein midi et
très bas suspendent leurs fruits


- Soleil cou coupé (poèmes non retenus dans la version définitive) :

«Visage de l'homme tu ne bougeras point
tu es pris dans les coordonnées féroces de mes rides.»

- Ferrements (1960. 1ère Publication en revue en 1950) :

FERMENT

Séduisant du festin de mon foie, ô Soleil
ta réticence d'oiseau, écorché, roulant.
L'âpre lutte nous enseigna nos ruses,
mordant l'argile, pétrissant le sol
marquant la terre suante
du blason du dos, de l'arbre de nos épaules
sanglant, sanglant
soubresaut d'aube démêlé d'aigles.

- Moi, laminaire (1982) :

"test..."

Les chercheurs de silex
les testeurs d'obsidienne
ceux qui suivent jusqu'à l'opalescence
l'invasion de l'opacité
les créateurs d'espace

allons les ravisseurs du Mot
les détrousseurs de la Parole
il y avait belle lurette qu'on leur avait signifié
leur congé
de la manière la plus infamante

- Noria (1976. Poèmes nos repris dans la version définitive de Moi, laminaire) :

Lettre de Bahia-de-tous-les-saints (extrait)

Ah ! Bahii-a !

Bahia d'ailes ! de connivences ! de pouvoirs ! Campo grande pour les grandes manoeuvres de l'insolite ! de toutes les communications avec l'inconnu, Centrale et Douane !

- Comme un malentendu de salut (recueil inédit) :

Cet espace griffonné de laves trop hâtives
je le livre au Temps.
(le Temps qui n'est pas autre chose que la
lenteur du dire)

la fissure
toute blessure
jusqu'à la morsure de l'instant infligée
par l'insecte innocent

L'interstice même que la vie ne combla
tout se retrouvera là
cumulé par le sable généreux

Prières reconnaître à l'orée de la caverne
un bloc de jaspe rouge
assassiné de jour
caillot

(NB : ultime texte publié dans ce beau recueil d'un ultime ouvrage posthume)

Peut-être ces quelques extraits donneront-ils désir d'aller écouter de plus près cette parole d'une force incroyable - un cri, souvent, mais salvateur -, parfois matinée d'une once de surréalisme en ses débuts (dont Césaire fut un temps proche) mais sans l'empuantissement doctrinal que ce mouvement connu assez vite sous la férule jalouse d'André Breton. Se ralliant peu à peu à une écriture plus directe, toujours aussi vive et virulente mais recherchant moins les effets de styles ni les images trop facilement oniriques - quoi qu'une certaine forme d'onirisme de la réalité fut présent jusqu'au bout dans ses écrits orphiques -.
Une poésie de la révolte, de la lutte, du souffle profond de la Caraïbe, de la reconnaissance du moi viscérale d'un peuple entier atrophié, déculturé, massacré et mis plus bas que la plus dérisoire des bêtes, mais une poésie amoureuse de tous ces êtres et de ces paysages flamboyants qui l'ont accompagné jusqu'au bout.
Une poésie dont on ne se remet jamais tout à fait, une fois qu'on en a entamé la lecture clairvoyante et indispensable !


[*] Titre d'un recueil d'entretiens très intimiste du romancier avec Françoise Vergès. Il avait alors 92 ans. (Editions Albin Michel).
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Très tôt rattachée au courant surréaliste, la poésie d'Aimé Césaire plonge ses racines dans la part refoulée de l'identité noire des Caraïbes, dans le récit des origines africaines mais aussi dans un moment crucial, celui d'où émerge la conscience de la situation coloniale et du traumatisme de l'esclavage.

L'écriture est abrupte, radicale, sans compromis, qui se lit comme un manifeste à coeur ouvert, le lieu d'une irruption immense, violente, qui rompt et déborde la prise du lecteur sur le réel et sur le sens.
Au fil des pages, il y a toujours cette insurrection de la pensée, une confluence de sens, un rythme, une intensité perdue qui resurgit, qui rend son écriture parfois déroutante mais tellement singulière et remarquable.

Aimé Césaire nous révèle que la poésie ne saurait être une pensée mièvre, figée, convenue, mais qu'elle est aussi transgression des normes du langage, ouverture de la conscience vers des dimensions insoupçonnées, imprévues, celles qui abordent le lointain, l'inconnu, l'incertitude. de là naît la beauté de la poésie.

SOMMATION -

" Toute chose plus belle
la chancellerie du feu
la chancellerie de l'eau
Une grande culbute de promontoires
et d'étoiles
Une montagne qui se délite en
orgie d'îles en arbres chaleureux
les mains froidement calmes du soleil
sur la tâte sauvage d'une ville détruite

Toute chose plus belle toute chose plus belle
et jusqu'au souvenir de ce monde y passe
un tiède blanc galop ouaté de noir
comme d'un oiseau marin qui s'est oublié en plein vol et
glisse sur le sommeil des pattes roses

toute chose plus belle en vérité plus belle
ombelle
et térebelle
la chancellerie de l'air
la chancellerie de l'eau
tes yeux un fruit qui brise sa coque sur le coup de minuit
et il n'est plus MINUIT

L'espace vaincu le Temps vainqueur
Moi j'aime le temps le temps est nocturne
et quand l'Espace galope qui me livre
le Temps revient qui me délivre
Le Temps le Temps
ô claie sans venaison qui m'appelle

intègre
natal
solennel "

(extrait de "Cadastre - Corps perdu")
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A déguster par petits bouts car c'est un gros pavé, amalgame de plusieurs recueils.
Aimé Césaire, poète et homme politique martiniquais né en 1913, fut l'un des fondateurs de la "négritude: négation de la négation de l'homme noir".
Sa poésie dont André Breton disait qu'elle "était belle comme l'oxygène naissant" est pure et sans attaches,déliée de toute ponctuation, elle coule comme le Congo aux chutes fluctuantes parfois rapides.
Cahier d' un retour au pays natal: où Aimé Césaire, écrivain et poète de langue française du XX° siècle d'inspiration, ici, anticolonialiste part et dit "Je viendrai à ce pays mien et je lui dirai:embrassez moi sans crainte...Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai".
En guise de manifeste littéraire: adressé à André Breton(animateur du mouvement surréaliste qui a inspiré Aimé Césaire):sorte de délire verbal où Aimé Césaire dit:"La seule chose qui vaille la peine de commencer. La fin du monde parbleu!" En référence à la résistance au régime de Vichy.
Les armes miraculeuses(dont le texte en prose éponyme): poésies violentes comme des cris épris de Liberté.
Poèmes de la revue Tropiques et leur quête:"Qui suis je?"
Cadastre:poèmes épurés, superbe "Soleil cou coupé" d'inspiration surréaliste."Hélé hélélé" le tam-tam se balance en cadence, "pleure,pleure" pour lancer sa plainte et atteindre l'universel.
Soleil cou coupé:formé des poèmes non repris dans la version définitive.
Ferrements: ferrures qui ferrent l'esclave, vague arrimée aux coeurs lourds, "fiente","sanglot des coraux","séisme","spirales,"royaume",moisson-mousson" nostalgiques...mais "il y a ce mal" et son mal à lui, "C'est moi même, Terreur, c'est moi même"...
Moi laminaire:couches superposées de fantasmes et de fantômes à laminer en mots.
Noria:poèmes non repris dans Moi, Laminaire.
Et toujours l'Afrique, "Femme noire" chère à Léopold Sedar Senghor avec lequel Aimé Césaire a fondé le concept de "négritude" pour réhabiliter ses valeurs culturelles.Et toujours la liberté, l'ode et le cri de vie d'anciens esclaves.Et toujours la quête d'identité, et le regard sur Dieu, et le monde, et les autres, et la vie,et la mort pour atteindre une dimension plus universelle.

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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
En vérité...

la pierre qui s'émiette en mottes
le désert qui se blute en blé
le jour qui s'épelle en oiseaux
le forçat l'esclave le paria
la stature épanouie harmonique
la nuit fécondée la fin de la faim

du crachat sur la face
et cette histoire parmi laquelle
je marche mieux
que durant le jour

la nuit en feu la nuit déliée le songe forcé
le feu qui de l'eau nous redonne
l'horizon outrageux bien sûr
un enfant entrouvrira la porte...

(extrait de "Ferrements") - p. 379
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Des mots ?
Ah oui, des mots !
Raison, je te sacre vent du soir.
Bouche de l'ordre ton nom ?
Il m'es corolle du fouet.
Beauté je t'appelle pétition de la pierre.
Mais ah ! la rauque contrebande
de mon rire
Ah ! mon trésor de salpêtre !
Parce que nous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la démence précoce de la folie flambante du cannibalisme tenace


[Extrait de "Cahier d'un retour au pays natal"]
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Les armes miraculeuses / Les armes miraculeuses

...

la plus belle arche et qui est un jet de sang
la plus belle arche et qui est un cerne lilas
la plus belle arche et qui s'appelle la nuit
et la beauté anarchiste de tes bras mis en croix
et la beauté eucharistique et qui flambe de ton sexe au nom duquel je saluais le barrage de mes lèvres violentes

...
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Je suis un souvenir qui n'attend pas le seuil
et erre dans les limbes où le reflet d'absinthe
quand le coeur de la nuit souffle par ses évents
bouge l'étoile tombée où nous nous contemplons.
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Poèmes de la revue Tropiques / Histoire de vivre - récit

...Et les collines soulevèrent de leurs épaules grêles, de leurs épaules sans paille, de leurs épaules d'eau jaune, de terre noire, de nénuphar torrentiel, la poitrine trois fois horrible du ciel tenace.
C'était l'aube, l'aube ailée d'eau courante, la vraie, la racine de la lune.
Et midi arriva.
...
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Vidéo de Aimé Césaire
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Il y a des mots qui font scandale aujourd'hui et qui ne choquaient pas hier. le mot nègre, par exemple. Tiens, savez-vous quel écrivain a réussi à en ruiner le caractère insultant pour le faire sien, fièrement?
« Cahier d'un retour au pays natal », d'Aimé Césaire – C'est à lire aux Editions Présence africaine.
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