La joie d'amour

En réalité, aimer c'est d'abord aimer l'autre et ensuite être heureux que l'autre vous aime. Tout dans l'amour véritable se passe comme si chacun offrait à l'autre un don d'amour sans attendre de retour, mais en se réjouissant singulièrement de ce retour éventuel. Et ce mouvement vaut dans les deux sens, de chacun vers l'autre. La réciprocité d'amour n'est pas un dû.

Si les littératures et les psychologies de toute l'humanité donnent une si grande place à l'amour, si l'angoisse et la souffrance sont la tonalité la plus fréquente des méditations sur l'amour, si " l'objet perdu " ou " l'être manquant " ou " l'être manqué " sont les marques les plus corrosives de l'expérience amoureuse, c'est bien parce que l'enjeu de l'amour n'est pas le plaisir mais le sens même de l'existence. Or, celle-ci ne prend sens que par la joie d'être. Hors cette joie, l'existence n'est que persévérance végétative et consumériste, lutte aveugle et vaine pour la domination, ou combat futile contre l'ennui.

L'éthique de la joie dit que la joie véritable, la joie intense et réfléchie qui se présente comme le Préférable absolu et l'enjeu radical, est une vie à construire et non une grâce à recevoir.

" Le présent se nourrit du projet d'avenir mais l'avenir est soutenu et justifié par le présent"

Le Désir, c'est-à-dire la conscience de tout un chacun, ne pourra effectuer le passage de la vie spontanée et maladroite à la vie souveraine et réfléchie que parce qu'il est déjà une conscience capable de se dédoubler, et parce qu'il est donc déjà libre dans sa spontanéité obscure.
Les amants malheureux ne pourront se "reprendre" (se retrouver maîtres d'eux-mêmes et de leur amour) que parce que leur affectivité, leurs Désirs, leurs désirs sont déjà les actes libres d'une conscience.
C'est donc par sa propre nature de conscience libre (d'un premier degré) que le sujet pourra transformer son affectivité malheureuse, angoissée ou agressive, en une affectivité heureuse et accomplie. Encore faut-il que le sujet en ait le Désir.
(p.151)

l'amour, en sa plus haute conception, suppose la reconnaissance de l'autre comme personne singulière et admirable ; l'amour vrai mobilise les ressources de la réflexion et il est un acte de la liberté ; et, enfin, les difficultés de l'amour ne sont pas un obstacle à l'amour. (p.122)

La maîtrise de soi, le "gouvernement des passions", la culture générale ou spécialisée, l'entente avec autrui, la générosité interindividuelle ou politique, toutes ces attitudes et ces richesses qui constituent ce qu'on entend couramment par "sujet", ne sont pas des données immédiates mais des conquêtes progressives.
(p.31)

Ses affres et ses angoisses n'annulent pas mais, au contraire, soulignent et sertissent dans la lumière de la justification la valeur absolument Préférable (parmi toutes les valeurs) de l'amour lui-même lorsqu'il est vécu dans la ferveur d'un coeur sincère.
(p.111)

P 200 – la « limitation » de chacun et de chacune est en réalité sa richesse et sa substantialité, la richesse et la substantialité de chaque manière concrète d’exister dans l’espace et dans le temps, dans la chair et dans l’esprit.

P 176 – la conversion est un travail de l’esprit qui change la vie en instaurant concrètement trois principes de vie. Ces trois principes de vie sont l’autre nom des trois activités de la réflexion (…) qui vont animer l’existence neuve. Ce sont la prise de conscience et l’instauration de l’autonomie créatrice ; la prise de conscience et l’instauration de la réciprocité véritable ; la prise de conscience et l’instauration du primat éthique de la jouissance des richesses du monde sur la délectation de la souffrance, de la mort et de la dépendance.