Fresque romanesque,
l'Equilibre du monde, c'est Les Misérables ou Les Temps Difficiles de Dickens, transplanté dans le cadre de l'Inde contemporaine. Dans un pays en pleine mutation, prenant la voie d'une modernisation agressive, secoué par les troubles sociaux, inter-religieux, inter-castes, par la contestation politique,
Rohinton Mistry nous fait partager, avec maestria, les destinés croisées d'une humanité attachante et laissée pour compte.
Comment ne pas être profondément touché par les tribulations d'Omprakash et de son oncle Ishvar, tailleurs de leur état, symboles de la foule innombrable des petites mains, de ses basses castes, “intouchables”, dont l'ombre même est considérée comme impure, condamnées à baisser les yeux, à effacer la trace de leur pas, corvéables à merci, traitées pire que des bêtes, réquisitionnées pour des travaux publiques, vendues comme des marchandises, stérilisées arbitrairement , victimes des lois liberticides de l'état d'urgence, de la corruption et de la violence à tous les étages de la société, de l'incurie généralisée, du logement insuffisant, de condition d'hygiène inexistantes? Et cependant, leur humilité, leur naïveté et la grande humanité de leur caractère, renforce, s'il est possible, l'empathie du lecteur. Comment passer sous silence la kyrielle de personnages inoubliables tels tante Dina, la veuve fière et indépendante, refusant la tutelle de son frère à la suffisance insupportable? Et Manec, l'étudiant échoué dans la grande ville, orphelin de ses montagnes natales; Shankar dit Ver de terre, le cul-de-jatte optimiste, ravi de se rendre utile; Rajaram le collecteur de cheveux, serial coiffeur et tapeur en série; Ibrahim le collecteur de loyer; et le chef des mendiants?
Rarement ai-je lu un roman, avec autant d'empathie pour ses personnages, de désespérance pour la misère profonde de leur existence. Jamais l'intérêt de la lecture ne s'est démenti. On est proprement et magistralement happé par cette fresque foisonnante, absurde, atroce. Merci monsieur
Mistry, votre roman est un chef-d'oeuvre, dont on ne ressort, certes pas, indemne.