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Critique de Kirzy


J'aime à me rappeler des chemins qui me mènent à certains livres, surtout lorsque se crée une chaîne complice entre deux oeuvres qui ont résonné en moi. C'est le magnifique 209 rue Saint-Maur, autobiographie d'un immeuble, de Ruth Zylberman qui m'a conduit à Dora Bruder par la magie d'un commentaire.

Celui d'Enjie77. Et elle a raison de faire le parallèle entre les deux livres, la façon qu'a Ruth Zymberman de partir à la recherche des enfants juifs qui ont vécu dans un immeuble anonyme parisien durant l'Occupation fait écho à l'enquête de Patrick Modiano pour retrouver des traces de Dora Bruder, jeune juive dont il découvre l'existence par le biais d'une petite annonce paru le 31 décembre 1941 dans le journal Paris-Soir : ses parents la recherchent, elle a fugué.

Ceux qui sont sensibles à la prose de Modiano le seront à ce magnifique roman tant il exhale toute la quintessence du charme modianesque. On retrouve toutes les obsessions de l'auteur pour Paris, la période de l'Occupation, sa nostalgie, sa mélancolie. Sauf que là, sa topographie personnelle se double de celle d'une autre, Dora Bruder, et même culmine en une troublante psychogéographie à double face. Ce qu'il devine d'elle s'immisce en lui au point de le hanter. Lui aussi a fugué, lui aussi à un père juif qui s'est fait raflé ( mais qui en a réchappé ) à Paris en 1942, peut-être en même temps extrapole-t-il. Modiano et Dora semble fusionner comme le font les périodes évoquées en un tourbillon temporel pleine de douceur et de poésie.

« Il faut longtemps pour que resurgisse à la lumière ce qui a été effacé ». Et c'est vrai qu'au gré des déambulations parisiennes de Modiano sur les traces de Dora Bruder, c'est surtout le vide et l'absence qui m'a saisie, l'empreinte de Dora est là, en creux, difficile à appréhender même si l'auteur parvient, entre recherches archivistiques et coup de pouce de Serge Klarsfeld, à reconstituer un petit peu de la vie de cette inconnue qui a vécu au 41 boulevard d'Ornano tout près de la porte de Clignancourt ( 18ème arrondissement ) avant d'être déportée à Drancy puis Auschwitz neuf mois après sa fugue de l'école religieuse Sainte-Coeur-de-Marie.

Le roman se termine par ces mots superbes: «J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, L Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.»

En abordant la grande Histoire sous l'angle d'un destin individuel, Patrick Modiano ressuscite des fragments d'une vie volée, tirée de l'oubli avec élégance qui avance à pas feutrés, avec une sensibilité qui frémit entre les mots et explore les subtilités de la mémoire et la complexité de l'identité.

En 2015, a été inaugurée une promenade Dora-Bruder : pas de plus bel hommage pour cette éternelle jeune fille et pour un auteur qui vibre Paris et s'y voit ainsi inscrit pour toujours.


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