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J'aime à me rappeler des chemins qui me mènent à certains livres, surtout lorsque se crée une chaîne complice entre deux oeuvres qui ont résonné en moi. C'est le magnifique 209 rue Saint-Maur, autobiographie d'un immeuble, de Ruth Zylberman qui m'a conduit à Dora Bruder par la magie d'un commentaire.

Celui d'Enjie77. Et elle a raison de faire le parallèle entre les deux livres, la façon qu'a Ruth Zymberman de partir à la recherche des enfants juifs qui ont vécu dans un immeuble anonyme parisien durant l'Occupation fait écho à l'enquête de Patrick Modiano pour retrouver des traces de Dora Bruder, jeune juive dont il découvre l'existence par le biais d'une petite annonce paru le 31 décembre 1941 dans le journal Paris-Soir : ses parents la recherchent, elle a fugué.

Ceux qui sont sensibles à la prose de Modiano le seront à ce magnifique roman tant il exhale toute la quintessence du charme modianesque. On retrouve toutes les obsessions de l'auteur pour Paris, la période de l'Occupation, sa nostalgie, sa mélancolie. Sauf que là, sa topographie personnelle se double de celle d'une autre, Dora Bruder, et même culmine en une troublante psychogéographie à double face. Ce qu'il devine d'elle s'immisce en lui au point de le hanter. Lui aussi a fugué, lui aussi à un père juif qui s'est fait raflé ( mais qui en a réchappé ) à Paris en 1942, peut-être en même temps extrapole-t-il. Modiano et Dora semble fusionner comme le font les périodes évoquées en un tourbillon temporel pleine de douceur et de poésie.

« Il faut longtemps pour que resurgisse à la lumière ce qui a été effacé ». Et c'est vrai qu'au gré des déambulations parisiennes de Modiano sur les traces de Dora Bruder, c'est surtout le vide et l'absence qui m'a saisie, l'empreinte de Dora est là, en creux, difficile à appréhender même si l'auteur parvient, entre recherches archivistiques et coup de pouce de Serge Klarsfeld, à reconstituer un petit peu de la vie de cette inconnue qui a vécu au 41 boulevard d'Ornano tout près de la porte de Clignancourt ( 18ème arrondissement ) avant d'être déportée à Drancy puis Auschwitz neuf mois après sa fugue de l'école religieuse Sainte-Coeur-de-Marie.

Le roman se termine par ces mots superbes: «J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, L Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.»

En abordant la grande Histoire sous l'angle d'un destin individuel, Patrick Modiano ressuscite des fragments d'une vie volée, tirée de l'oubli avec élégance qui avance à pas feutrés, avec une sensibilité qui frémit entre les mots et explore les subtilités de la mémoire et la complexité de l'identité.

En 2015, a été inaugurée une promenade Dora-Bruder : pas de plus bel hommage pour cette éternelle jeune fille et pour un auteur qui vibre Paris et s'y voit ainsi inscrit pour toujours.


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Il y a dix jours, mon mari m'a dit : "Tu as l'air fatiguée, je sais qu'en ce moment ce n'est pas la joie au boulot, allez, je t'emmène quelques jours à Barcelone".
Je sais, mon mari est formidable.

Là, normalement, vous vous dîtes que je me suis plantée de réseau social et que vous ne lirez pas un mot sur Modiano.
Faux.

Je reprends.

Après quatre jours sur les traces du fabuleux Gaudi, je me suis écroulée de fatigue sur un banc du métro - station Diagonal. Là, à côté de moi... un Folio. Étonnement. Rapide coup d'oeil à droite, rapide coup d'oeil à gauche ; personne à moins de six mètres, pas de doute, ce Folio est orphelin. Ma main se pose sur lui, consolante - "Qu'est-ce que tu fais là tout seul, pauvre petit livre ?" -, je le retourne et fais connaissance avec "Dora Bruder". Jamais entendu parler mais je suis d'une ignorance crasse à mes heures. Je lorgne surtout le nom de son auteur, un prix Nobel tout juste sorti de l'oeuf ! Joli clin d'oeil - comprendra qui pourra.

TOUT ça, oui tout ça pour introduire ma première expérience de book crossing !

Non, là, franchement, Gwen, tu abuses de leur patience.
Aux faits.

Pour ma défense, je n'étais pas la seule à ne pas savoir qui était Dora Bruder. Quand débute le récit, le narrateur ne le sait pas non plus. Il cherche à savoir, du coup moi aussi ; il m'entraîne avec lui, page après page, pas après pas, trace après trace. Nous voici compagnons de voyage.

J'ai vraiment aimé suivre son investigation désintéressée et pourtant obsédante pour découvrir qui était cette jeune juive qui vivait à Paris sous l'Occupation.

J'ai aimé ce récit et son étrange intensité pleine de pudeur, qui enveloppe certains détails plus que d'autres, qui développe l'émotion patiemment, qui aborde l'Histoire par une petite porte dérobée, intime, banale, commune. Aussi banale et commune que l'existence volée de Dora Bruder - 15 ans, déportée à Auschwitz en 1942 -, aussi banale et commune que toutes les existences volées par la guerre.

J'ai aimé mon premier Modiano ; j'ai aimé le rencontrer sur un banc à 900 km de chez moi.

Et par-dessus tout, j'aime être en vie et j'aime mon mari.


Challenge NOBEL 2013 - 2014
Challenge PETITS PLAISIRS 2014 - 2015
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« Dora Bruder » est certainement mon Modiano préféré. Tout ce qui fait qu'on aime (ou pas) cet auteur sont ici réunit. L'omniprésence du passé, la déambulation dans ce Paris que Modiano aime tant. Au hasard d'un avis de recherche sur une jeune juive disparue lors des sombres heures de la seconde guerre mondiale, Modiano
se lance sur les traces de Dora, dont le « crime » est d'être née juive. Avec ce style inimitable, Modiano va aussi sur les pas de son propre passé avec ce qui le caractérise si bien : la lenteur et la mélancolie. On peut-être hermétique à ce style, avoir le sentiment que Modiano se répète, réécrit sans cesse la même histoire, son histoire. Certainement. Mais pourtant moi, il me chavire à chaque fois ou presque. Ha, les gouts et les couleurs …
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''PARIS. On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1 m 55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris.''
C'est cette petite annonce, parue dans la rubrique ''D'hier à aujourd'hui'' du Paris-Soir du 31 décembre 1941, qui interpelle Patrick MODIANO. Sans doute parce que le boulevard Ornano lui rappelle les jours de son enfance où il le traversait avec sa mère pour se rendre aux Puces de Saint-Ouen. Commence alors pour l'auteur un long travail d'enquêtes dans les traces de la jeune fugueuse. Dora Bruder, juive, pensionnaire d'une institution catholique aujourd'hui disparue, rebelle et indépendante, décide de fuguer un soir de décembre 1941. Qu'a-t-elle fait avant d'être retrouvée par la police ? Avant que ne la rattrapent les lois anti-juives ? Avant d'être emprisonnée et déportée ? MODIANO, soixante ans après les faits, sait qu'il ne trouvera rien de l'adolescente broyée par L Histoire. Mais, il s'obstine à réunir de maigres informations, à marcher dans ses pas, à visiter les lieux qui ont gardé une trace de Dora Bruder. Et à travers elle, ce sont les fantômes de tous les juifs parisiens, français ou réfugiés, qu'il convoque pour raconter cette période trouble et dangereuse, que lui n'a pas connue mais qui trouve un écho dans son histoire personnelle.


De l'enquête minutieuse de Patrick MODIANO ne ressortent que des bribes, d'infimes morceaux d'une vie qui s'est diluée dans l'espace et le temps, dans des archives brûlées car honteuses, dans des lieux rasés après la guerre, dans une chambre à gaz d'Auschwitz. Dora Bruder, une juive parmi tant d'autres, une adolescente qui rêvait de liberté mais à qui le Paris de l'Occupation n'a offert que l'étoile jaune, les rafles, la déportation. Fugueur lui aussi, MODIANO a pu déambuler dans une ville libre, sûre. Des villes différentes, celle de 41-42, celle de de 1965 mais aussi celle au moment où il écrit son livre. Pourtant des traces subsistent. La mémoire s'est ancrée dans des lieux qui sont communs à la jeune fugueuse juive et à l'auteur en devenir. Ce sont ces endroits insignifiants à première vue, mais chargés d'histoires et d'Histoire, que MODIANO explore, ces rues, où Dora Bruder marchait, qu'il parcourt, aux aguets, pour saisir une ombre, une trace, un souvenir.
Dora Bruder restera l'insaisissable jeune fille qu'elle était déjà de son vivant mais la reconstitution de MODIANO, teintée de douceur et de mélancolie, ravive la mémoire de la souffrance des juifs de France. Pour leur donner, sinon une voix, du moins un reste de présence, ce petit roman, cette goutte d'eau, est un devoir de mémoire pour lutter contre l'amnésie collective. Triste et pudique.
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Pour ce livre je ne sais pas par où commencer. Ce petit livre ressemblant à quoi ? une enquête, des souvenirs, une réflexion historique, philosophique, personnelle, un chassé-croisé de ressentis ; ce petit livre donc qui peut aussi ressembler à une errance à travers la mémoire ; la mémoire collective, la mémoire de l'auteur, la mémoire d'une ville, la mémoire anonyme... Dora Bruder est entrée dans ma mémoire personnelle. Je ne peux commenter ce livre qu'en en parlant. Quand Modiano parle de l'étoile jaune un souvenir m'est revenu. La mère d'une de mes amies me montrant un soir chez elle, devant sa fille que j''étais venue chercher pour sortir, alors que nous bavardions de tout et de rien son étoile jaune qu'elle avait gardé. Celle qu'elle avait porté enfant (7 ans) dans Paris. On ne parlait pas du tout de ça et je ne m'y attendais pas. Ce qui m'a frappée d'emblée ce fut la grandeur de l'étoile. Je ne sais plus ce que la mère de mon amie m'a dit. Et puis elle a rangé l'objet. Moi je n'ai rien dit, je crois que je ne savais pas trop quoi dire. Je connaissais l'histoire familiale en pointillé, je savais que cette femme enfant avait échappé aux rafles en étant envoyée à la campagne par ses parents. Cette femme que je connaissais peu, sympathique, que je trouvais toujours un peu "fébrile" qui ne parlait jamais de la guerre, de ce qu'avait subi sa famille, m'avait soudain ouvert une page de sa vie intime et douloureuse, de sa vie d'enfant caché. Et puisque le livre parle de la période 41 et 42, cela m'a aussi fait penser à une réunion où j'étais avec cette même amie. Plutôt un petit "apéritif" après une expo, très peu de monde, nous étions les plus jeunes, cela en amusait plus d'un. A côté de moi, un homme vraiment grand, massif, imposant, franchement rigolard. Un autre parlait de lui en tant qu'ancien déporté d'Auschwitz, juif polonais ayant fait partie des rafles des juifs étrangers à Paris. Et lui évacuait cela d'un mouvement de la main en riant. Dora Bruder me fait penser à ces deux frères, dans cette même soirée qui nous ont parlé à mon amie et à moi. En 42 ils devaient avoir l'âge de Dora Bruder. Juifs français, style "vieille France", très courtois avec des manières un peu surannées. Famille française depuis longtemps, ils parlaient de leur arrestation en 42 et leur déportation encore outrés comme si on leur avait fait une blague de très mauvais goût, eux français à 200%. Ils en parlaient avec dégoût sur un ton très distingué et calme. Ils nous avaient donné leur carte de visite en nous disant de venir boire le thé à leur galerie d'art, ravis que deux jeunes filles attentives et un peu trop silencieuses (à mon goût) soient là et s'intéressent à cette période et à ceux qui en étaient la survivance. Quand nous sommes parties de cette exposition, mon amie et moi avons marché un instant en silence. Mon amie m'a dit :
- tu iras prendre le thé chez eux ?
- bien sûr. Ça m'intéresse de voir leur galerie et je les trouve charmants.
Et aussi parce que j'avais peut-être vu dans leurs yeux bleus à tous les deux le passage des fantômes qui réclamaient leur part d'écoute et de paroles. Voilà à quoi m'a fait penser la lecture de Dora Bruder. Et ne pas parler de ces expériences personnelles par rapport à la lecture de ce livre n'auraient eu aucun sens à mes yeux et auraient sonné étrangement. Modiano arpente sa mémoire fantomatique, sa mémoire vive et déchirée, sa mémoire quadrillée comme un cadastre. Et redonne substance aux mémoires oubliées, enfouies et désertées. En parlant de Dora Bruder il parle de toutes celles et tous ceux disparus, dont il ne reste parfois rien, comme si leur vie avait été une abstraction cosmique. Ce petit livre renferme des milliers et des milliers d'âmes.
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Chère Dora Bruder, vous resterez pour moi à jamais une éternelle jeune fille de quinze ou seize ans, c'est-à-dire celle sur ces photos sépias où votre visage, votre sourire, vos yeux, ont été immortalisés pour les toutes dernières fois.
Vous êtes née le 28 février 1926, c'est-à-dire juste un mois avant la naissance de ma mère. Vous aviez donc le même âge. J'ai vu de ma mère des photos où elle avait quinze ans, elle aussi portait comme vous des socquettes blanches. Vous auriez pu être amies dans la tourmente qui vous liait mais qui allait vous entraîner vers des chemins différents.
Chère Dora Bruder, vous ne connaîtrez jamais l'étreinte sensuelle d'un amant, ni celle d'un mari. J'imagine les enfants que vous auriez eus, les petits enfants. J'imagine la grand-mère idéale que vous auriez été, racontant à vos petits-enfants vos fugues dans les quartiers de Paris maillés par les Allemands, la Gestapo et la police française.
Vous ne serez jamais cette grand-mère, cette mère, cette amante... Vous aurez seize ans à jamais...
Un homme vous a suivi dans la rue. Vous ne le saviez pas. Et pour cause, il a commencé à vous suivre cinquante ans plus tard, cinquante ans après que vous avez disparu du paysage de Paris, du boulevard Ornano, de la rue Pic-pus, du pensionnat religieux dans lequel vos parents vous aviez confiée pour vous protéger... Transit vers Les Tourelles, puis le camp de Drancy avant de partir pour Auschwitz le 18 septembre 1942, dont vous ne reviendrez jamais...
Un homme vous a suivi dans Paris parce qu'il a cru vous reconnaître peut-être, sans vous connaître vraiment. Il s'appelle Patrick Modiano. Pardonnez-lui, il fouille, il farfouille dans la mémoire d'une ville et des âmes, il ne le fait pas comme un flic, il le fait pour vous sauver de l'oubli. Pour que personne ne vous oublie, à jamais.
Grâce à lui je vous ai connue.
J'imagine son émoi lorsqu'il tomba ces années plus tard sur un vieux journal, Paris-Soir, qui datait du 31 décembre 1941 et qui mentionnait :
« PARIS
On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1 m 55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications ç M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris. »
J'imagine le trouble qu'il a eu devant les photos de la jeune fille souriante que vous étiez, que la barbarie à visage humain allait broyer quelques mois plus tard. Terribles ces photos, comme des instants de bonheur à jamais figés au-dessus du vide.
« Ces ombres et ces taches de soleils sont celles d'un jour d'été. »
Patrick Modiano dit les choses en creux, dans la mélancolie simple et douloureuse des lieux qui gardent un souvenir, une empreinte invisible des personnes qui les ont habités. Patrick Modiano sait visiter des lieux, des quartiers, des immeubles, saisir cette empreinte... Nous transmettre aussi vers nous lecteurs cette manière d'appréhender un lieu chargé de cette puissance émotionnelle...
On aime ou on n'aime pas Patrick Modiano. Il a ses inconditionnels, il a ses détracteurs. Qu'importe ! Il se trouve que j'aime beaucoup cet auteur pour sa manière d'aligner sur de mêmes planètes les souvenirs, la mémoire et les lieux, de faire se promener tout cela, se déployer de tels paysages sur des pages entières.
C'est une introspection, il ressent parfois un vide en lui devant les choses détruites du passé, lorsqu'il revient en arrière dans une rue, lorsqu'il longe la façade de ce qui fut un cinéma de quartier et est désormais une vulgaire surface commerciale, lorsqu'il contemple une photo d'une être disparue, adolescente encore, vous chère Dora Bruder broyée par la guerre.
Chère Dora Bruder, vous avez laissé votre empreinte dans ces divers lieux de Paris et Patrick Modiano a su vous retrouver, marcheur infatigable, fugueur comme vous l'étiez cinquante ans plus tôt, il a su nous les restituer à sa manière.
C'est ce vide sidéral qu'il cherche à combler dans ses romans, il donne sens à l'idée de ne pas laisser le vide demeurer ainsi à jamais. Patrick Modiano cherche à combler des endroits devenus vides pour y remettre un nom, un visage, des gestes, des photos, des battements de coeur, des sentiments, de la vie, quoi !
Je ne saurais dire pourquoi Patrick Modiano a voulu vous faire surgir de l'invisible, comment il l'a fait, comment il a réussi à le faire.
Mais l'émotion du texte m'a étreint lorsque j'ai senti que dans vos pas, chère Dora Bruder, il y avait désormais les pas de Patrick Modiano, comme si vos pas se mélangeaient dans une si belle harmonie qui rendait impossible toute dissonance.
Ce récit, qui prend peu à peu dans sa narration une dimension universelle, n'appelle pas que le chagrin, je veux croire que le beau personnage que vous êtes chère Dora Bruder et qui surgit ici, rebelle et indépendante, emplie de beauté et de mystère, qui a su fuguer dans le contexte de l'époque, est une manière de donner aussi de l'espoir. Même si chère Dora Bruder, vous n'êtes jamais revenu...
Chère Dora Bruder, j'aime cette manière délicate qu'a eu Patrick Modiano de respecter quelques-uns de vos secrets jusqu'à l'ultime jour où vous êtes partie pour toujours.
« J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, L Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler. »
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Je ne connaissais pas l'écriture de Patrick Modiano. Je connaissais l'écrivain, son côté timide et introverti pour avoir regardé quelques interviews. Je ne saurais dire exactement ce qui me rebutait malgré les nombreux prix qui lui avaient été décernés peut-être sa difficulté d'élocution. Toujours est-il, certains commentaires sur Babelio on finit par me convaincre et j'ai jeté mon dévolu sur Dora Bruder.

Quelle belle découverte ! Très émouvante cette promenade en compagnie de Modiano dans des rues de Paris que je connais et qu'il affectionne. J'ai aimé reconstituer avec lui ces quartiers, ces maisons, ces hôtels disparus, m'arrêter à une station de métro, flâner entre passé et présent un peu comme dans un rêve, retrouver ce Paris populaire à la Robert Doisneau où Paname était à monsieur tout le monde. Chaque quartier était un village. Enfin, c'est ainsi que je me suis imaginée, tout au long de la lecture, tout au long de l'enquête, ce Paris de mes parents.

C'était assez étrange de revisiter et de tenter de reconstruire la mémoire de ces rues à la recherche de Dora Bruder, cette jeune fille juive disparue en décembre 1941 et dont les parents avaient passé une annonce sur Paris-Soir. Avec Modiano, les limites du temps n'existent pas. Tout se confond et fait écho, passé, présent. Je la voyais Dora et par moment elle nous échappait. Quel travail que celui de reconstituer point par point l'histoire de la famille Bruder. Modiano s'est procuré tous les documents concernant cette famille, toutes les annotations figurant sur les papiers de l'administration, du couvent où elle était pensionnaire, des Tourelles à Drancy puis Auschwitz, il n'a rien laissé au hasard.

Eprouvant aussi de replonger dans cette sinistre période si effroyable qui vient rappeler le tragique de l'histoire de la famille Bruder et de tant d'autres comme aussi celle du père de Modiano. Se figurer Paris envahit par les croix gammées et les uniformes noirs de la SS, se représenter la terreur de toutes ces personnes portant l'étoile, les rafles : bouleversant. Je l'ai vu Dora dans le panier à salade, le même panier à salade qui a emporté le père de Modiano.

Il sait manier la plume Patrick Modiano, c'est très beau, c'est épuré, entre mystère, passé, présent, nostalgie. J'ai bien aimé ce qui se dégage de l'écriture de Modiano, une espèce de tristesse, une mélancolie, je crois que l'on dit maintenant « modianesque ». On sent bien que les traumatismes liés à cette période sont encore bien présents dans l'esprit des enfants et petits enfants nés après cette période. C'est un peu comme si Modiano voulait redonner vie à Dora en tant que symbole de tous ces anonymes disparus sur le chemin de « Pitchipoï » surtout qu'au début de cette semaine de mai 2019, la stèle dédiée aux enfants de la rafle du Vel d'Hiv a été vandalisée.

La personnalité de Patrick Modiano me questionne, alors afin de mieux cerner son individualité, mon prochain Modiano sera Pédigree.



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Dora Bruder, jeune fille juive disparue parmi tant d'autres pendant l'hiver 1941, a laissé une empreinte dans les rues de Paris. Une présence, comme une lampe allumée.
L'auteur ne dispose que de quelques indices pour deviner son histoire, pour imaginer cette adolescente rebelle dont les pas ont croisé l'Histoire, le camp des Tourelles et celui d'Auschwitz.

Beaucoup de ces personnes déportées n'ont laissé qu'un nom, une adresse à peine, une date de naissance, parfois un métier. Ils étaient jeunes ou vieux, ils étaient comme nous. Avec des rêves, des peurs, des secrets.

Avec cette enquête sur les traces du passé, Patrick Modiano leur redonne vie, il allume la lampe de cet appartement qu'ils ont dû abandonner, de cette vie arrachée. Il nous offre de marcher dans leurs pas, sur un trottoir, en regardant la façade d'un immeuble sous un ciel d'hiver. Chaque bout de trottoir, ou même un lieu rasé, est un lieu de mémoire, un lieu de solitude. Chaque morceau d'archive correspond à un virage, un instant où leur vie a basculé. Un carrefour, où les lignes de fuite des rails n'emmènent nulle part, à part le néant.

De l'émotion en sourdine, « au bord de la nuit ». On imagine Dora Bruder, on l'espère comme une adolescente pleine d'élan dont la vie a été fauchée, mais dont les secrets n'ont pas été volés.
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A l'image du style et de la voix de Modiano, mon parcours de lecteur avec lui est heurté, indécis, tâtonnant. Je l'ai d'abord découvert il y a 5 ans par son premier livre, La place de l'étoile. La rencontre ne s'est pas passée parfaitement, tout en reconnaissant tout de suite un style, un phrasé, je ne comprenais pas totalement le propos, trouvait un peu de suffisance chez un jeune auteur en démonstration. L'envie n'était pas folle de repartir pour un deuxième rendez-vous, même si j'avais tout de même le sentiment qu'il finirait par arriver.

Il prit d'abord la forme d'un passage à La Grande Librairie en octobre dernier pour parler de la sortie de son dernier livre, Chevreuse. Je trouvais l'auteur bredouillant, totalement en inadéquation avec le style de son premier roman, pas du tout assuré ou en démonstration, alors qu'il avait quand même décroché dans l'intervalle rien moins que le prix Nobel de littérature. le contraste avec son ami Edouard Baer qui semblait appelé à la rescousse par François Busnel pour soutenir l'auteur en difficulté, et dont la faconde habituelle ne faisait finalement que renforcer l'impression de totale impuissance et mon sentiment de pitié pour cet écrivain en perdition.

Et puis, cette semaine, par le biais d'un challenge et d'une perspective de joker à glaner, une lecture commune avec Callietournelespages se dessine, et Dora Bruder m'invite à venir au devant de celui qui l'a sortie de l'ombre.

Longue introduction me direz-vous. En effet... Mais c'est finalement pour dire que Patrick et moi nous avons fini par nous comprendre. Déjà parce que c'était le livre idéal pour cela, puisqu'il explique et contextualise dans un passage son premier roman, son envie de se venger et de venger son père par une prose brillante renvoyée à la face de la littérature française de la collaboration. Je comprenais mieux du coup cette impression d'exercice de style trop outré que j'avais ressentie.

Et ensuite Modiano m'emporte avec lui dans les rues de Paris, à la recherche des traces infimes de passé que Dora aurait pu lui laisser, comme des cailloux de Petit Poucet destinés à ce qu'on puisse la retrouver, si quelqu'un d'un peu fou et lunaire s'en donnait le projet. C'est apparemment (si j'en crois certaines critiques lassées par les déambulation en capitale de l'auteur) une habitude récurrente de Modiano que de s'attacher aux rues de Paris, aux monuments qui ne sont plus et à ceux qui les remplace. Peut-être cela finira-t-il par me lasser mais j'ai pour l'instant totalement compris son projet, moi qui prend plaisir ( ô merveille de la technologie) à revisiter via un célèbre outil GPS les rues de mon enfance pour essayer d'y retrouver mes chemins vers l'école ou vers le lycée. Ce même outil m'aura d'ailleurs permis (en remplacement de ballades réelles que j'aurais évidemment préférées) de suivre Modiano dans ses rues parisiennes, d'essayer de comprendre son itinéraire, de constater même que la caserne Tournelle est floutée, puisqu'elle est maintenant le siège de la DGSI, ce qui explique du coup le "Défense de filmer ou de photographier" qui intrigue tant le narrateur.

Les parallèles tracées entre la vie passée de Dora, l'histoire du père de l'auteur ainsi que sa propre vie qui croise de façon anecdotique celle de Dora vingt ans plus tard (que Paris est finalement petit), tout cela est magistralement mené, humblement, en reconnaissant les manques, les vides d'une enquête impossible. J'ai particulièrement apprécié toute la première partie où certaines informations (jeune fille juive, fugue, Paris, 1941) nous mènent forcément à envisager une conclusion funeste mais où l'auteur se refuse à aborder d'abord l'évidence, nous menant dans les villes d'origine des parents de Dora, dans l'hôpital où elle est née, dans l'hôtel où elle a grandi, dans les rues qu'elle a dû arpenter... avant de se résigner à l'accompagner au dépôt, dans la caserne des Tourelles... puis Drancy... puis...

Alors au bout de ce long chemin l'émotion nous étreint, on bredouille, on ne trouve plus les mots. L'écrivain nous les offre, comme un cadeau au lecteur qui quelques mois avant souriait ironiquement en le voyant se dépêtrer difficilement des questions journalistiques sous les feux des projecteurs. Modiano doit prendre le temps de construire ses phrases, de se promener le long d'avenues passées et présentes; il est l'homme du temps révolu, de la mémoire vacillante, pas celui du temps médiatique et de la punchline percutante.
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Faire revivre les lieux et les êtres en procédant à des inclusions dans son propre passé : c'est ainsi que Modiano, au cours des 27 romans qu'il a écrit reconstitue des bribes d'une histoire qui se perd au gré du temps qui passe et efface les traces des hommes et de leur travail.

Oubli des êtres qu'une machine de guerre a conduit vers la déchéance et la mort, oubli de ceux qui ont acté leur départ. C'est ainsi une quête désespérée que de les réincarner au fil de pages saupoudrées d'incertitudes. Tout autre que Modiano aurait réinventé l'histoire, imaginé la fugue, les rencontres, et les circonstances qui ont amenés le père et la fille à accomplir ensemble le voyage vers la mort. Ce n'est pas ainsi que l'auteur de la Place de l'étoile ou de Un pedigree rend hommage aux disparus. Il crée des liens ténus entre les quelques éléments glanés au hasard de la lecture d'une petite annonce d'un journal de 1941, les recherches actives sur des fiches de police et ses déambulations dans la capitale. Et parce que l'adresse indiquée dans l'annonce est un lieu familier, la recherche obstinée commence. Les hypothèses s'intriquent avec les souvenirs personnels, les questions sont infiniment plus nombreuses que les réponses.

La sordide réalité transparaît en filigrane, de plus en plus ténu alors que les témoins disparaissent peu à peu. La quête est tardive, la mémoire est infidèle et surtout ces immigrés étaient très isolés dans un Paris anonyme et menaçant.

Cette prospection tardive est le plus beau des hommages que l'on puisse rendre, en dehors de tout intérêt personnel et familial, à une humble famille dont le sort, scellé par une machination aveugle, renvoie aux millions d'autres qui subirent les mêmes souffrances.

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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