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Critique de Meps


A l'image du style et de la voix de Modiano, mon parcours de lecteur avec lui est heurté, indécis, tâtonnant. Je l'ai d'abord découvert il y a 5 ans par son premier livre, La place de l'étoile. La rencontre ne s'est pas passée parfaitement, tout en reconnaissant tout de suite un style, un phrasé, je ne comprenais pas totalement le propos, trouvait un peu de suffisance chez un jeune auteur en démonstration. L'envie n'était pas folle de repartir pour un deuxième rendez-vous, même si j'avais tout de même le sentiment qu'il finirait par arriver.

Il prit d'abord la forme d'un passage à La Grande Librairie en octobre dernier pour parler de la sortie de son dernier livre, Chevreuse. Je trouvais l'auteur bredouillant, totalement en inadéquation avec le style de son premier roman, pas du tout assuré ou en démonstration, alors qu'il avait quand même décroché dans l'intervalle rien moins que le prix Nobel de littérature. le contraste avec son ami Edouard Baer qui semblait appelé à la rescousse par François Busnel pour soutenir l'auteur en difficulté, et dont la faconde habituelle ne faisait finalement que renforcer l'impression de totale impuissance et mon sentiment de pitié pour cet écrivain en perdition.

Et puis, cette semaine, par le biais d'un challenge et d'une perspective de joker à glaner, une lecture commune avec Callietournelespages se dessine, et Dora Bruder m'invite à venir au devant de celui qui l'a sortie de l'ombre.

Longue introduction me direz-vous. En effet... Mais c'est finalement pour dire que Patrick et moi nous avons fini par nous comprendre. Déjà parce que c'était le livre idéal pour cela, puisqu'il explique et contextualise dans un passage son premier roman, son envie de se venger et de venger son père par une prose brillante renvoyée à la face de la littérature française de la collaboration. Je comprenais mieux du coup cette impression d'exercice de style trop outré que j'avais ressentie.

Et ensuite Modiano m'emporte avec lui dans les rues de Paris, à la recherche des traces infimes de passé que Dora aurait pu lui laisser, comme des cailloux de Petit Poucet destinés à ce qu'on puisse la retrouver, si quelqu'un d'un peu fou et lunaire s'en donnait le projet. C'est apparemment (si j'en crois certaines critiques lassées par les déambulation en capitale de l'auteur) une habitude récurrente de Modiano que de s'attacher aux rues de Paris, aux monuments qui ne sont plus et à ceux qui les remplace. Peut-être cela finira-t-il par me lasser mais j'ai pour l'instant totalement compris son projet, moi qui prend plaisir ( ô merveille de la technologie) à revisiter via un célèbre outil GPS les rues de mon enfance pour essayer d'y retrouver mes chemins vers l'école ou vers le lycée. Ce même outil m'aura d'ailleurs permis (en remplacement de ballades réelles que j'aurais évidemment préférées) de suivre Modiano dans ses rues parisiennes, d'essayer de comprendre son itinéraire, de constater même que la caserne Tournelle est floutée, puisqu'elle est maintenant le siège de la DGSI, ce qui explique du coup le "Défense de filmer ou de photographier" qui intrigue tant le narrateur.

Les parallèles tracées entre la vie passée de Dora, l'histoire du père de l'auteur ainsi que sa propre vie qui croise de façon anecdotique celle de Dora vingt ans plus tard (que Paris est finalement petit), tout cela est magistralement mené, humblement, en reconnaissant les manques, les vides d'une enquête impossible. J'ai particulièrement apprécié toute la première partie où certaines informations (jeune fille juive, fugue, Paris, 1941) nous mènent forcément à envisager une conclusion funeste mais où l'auteur se refuse à aborder d'abord l'évidence, nous menant dans les villes d'origine des parents de Dora, dans l'hôpital où elle est née, dans l'hôtel où elle a grandi, dans les rues qu'elle a dû arpenter... avant de se résigner à l'accompagner au dépôt, dans la caserne des Tourelles... puis Drancy... puis...

Alors au bout de ce long chemin l'émotion nous étreint, on bredouille, on ne trouve plus les mots. L'écrivain nous les offre, comme un cadeau au lecteur qui quelques mois avant souriait ironiquement en le voyant se dépêtrer difficilement des questions journalistiques sous les feux des projecteurs. Modiano doit prendre le temps de construire ses phrases, de se promener le long d'avenues passées et présentes; il est l'homme du temps révolu, de la mémoire vacillante, pas celui du temps médiatique et de la punchline percutante.
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