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Critique de Ambages


« L'amour, c'est de l'infini qui se rétracte. »

Que dire si ce n'est que j'ai adoré cette lettre. Une lettre d'amour, une lettre de deuil. Une lettre adressée par un homme à une femme après leur séparation, une lettre pour un ‘au revoir' qui n'a pas été dit en temps et en heure. J'ai aimé tout autant la forme que le fond.

C'est magnifique, flamboyant d'une détresse « J'étais seul au monde au milieu de toi » qui se cache sous un cynisme « pour le sexe, je préférais la présence des femmes ; pour le sentiment, je préférais leur absence », et qui s'efface parfois pour laisser le coeur parler.

« Tu redondes, mon amour. ». Oui il l'écrit ! Cette femme est son ‘amour', il l'écrit parce qu'il fait nuit depuis longtemps et « l'extrême fatigue est la meilleure longueur d'onde pour faire jaillir les vérités tues, les aveux empêchés. »

« Je m'aperçus qu'Ovide, Stendhal, Pétrarque, Racine, Byron, Shakespeare, Baudelaire, Zweig, Aragon, Proust ne me parlait que de toi. » Ça me fait rire un homme qui parle par personne interposée, qui dit sans dire et préfère laisser l'autre prendre la mesure de ce que lui ressentait au travers de cette si jolie déclaration. C'est un littéraire amoureux qui repense à cette première rencontre, si inoubliable dans son intensité pour lui :
« C'était comme si tout entre nous avait déjà fait l'amour, nos corps exceptés. Pénétrations, fellations, sodomies, et autres festivités avaient lieu entre nous, en temps réel, par d'autres moyens, par des chemins étrangers au contact des chairs, par des clins d'oeil, des tintements de verre, des éclats de rire : une pornographie se déroulait bel et bien, mais selon d'autres modalités, installée sur une fréquence connue de nous seuls. Personne ne s'en doutait, mais face à face, debout, nous baisions comme des détraqués. Nous n'avions pas attendu le coït pour commencer à jouir. »

Ils ont formé un couple qui, de son point de vue, s'entendait manifestement très bien physiquement -« Au lit, je dois avouer que tes faveurs étaient farouches ; tes prouesses, meurtrières »- mais qui avait des difficultés à communiquer, « les mots ne nous venaient à la bouche que pour modifier la couleur du silence. ». Un couple inachevé, imparfait. « Emmêlés la nuit, étrangers le jour. Ennemis bientôt. » Elle n'était pas son bachert mais il l'aimait, j'en suis persuadée sans quoi il n'aurait pas eu ces beaux mots « Je voudrais te connaître jusqu'au sang. » et n'aurait pas été jaloux (quand bien même cela renvoie à un égo bien installé à l'évidence) : « Posséder une femme magnifique, c'est vouloir posséder ce qu'elle possède et que nous ne possédons pas. Quand je dîne avec toi, je dîne avec tout le monde sauf avec toi : je dîne avec ceux qui te veulent. »

Mais l'imparfait, ce temps simple, exprimant une action dans un passé réel ou imaginaire, renvoie justement à la perte de cette autre femme, Anaïs. « Une femme aimée, une jeune femme, une jeune fille encore est morte, avant que je te connaisse. »

Parce qu'on a peur -« La peur, pour celui qui ne détruit pas l'autre, d'être détruit par l'autre. »- on tire le premier. Ici dans tous les sens du terme, il le fait et le revendique. Il casse et se cache sous des traits d'un don Juan où « la réalité n'est que sexuelle. » Toutefois, c'est dans cette lettre qu'il avouera cette blessure initiale, cet imparfait qui l'a conduit dans ce mur, comme une voiture une nuit.

« Moi, ma gueule veuve et solitaire qui marche sous les gouttes froides. »

Dès lors, cet homme a une peur viscérale -« Peur, surtout, de n'être plus, de ne pouvoir plus, jamais, être un ‘enfant'. Peur de ce que signifie ‘être adulte', avec la cohorte d'obligations »- et cette angoisse de la vie le pousse à fuir son présent. Plutôt que d'avoir mal à en crever, il devient sarcastique, cynique, sadique et sans illusion. « Je massacre avec subjectivité ce qui s'étiolera avec objectivité. » Il nie ses rêves, se vautre dans des corps pour oublier celui qu'il n'a jamais eu.

C'est un homme en souffrance. « Celui, celle qui quitte est malheureux aussi – et le deuil d'autant plus douloureux qu'il en porte la responsabilité. C'est un assassin assistant aux obsèques de sa victime. ».

Il se crée une carapace d'homme froid, insensible, persuadé que tout est fin « Ce qui est exténuant, ce n'est pas que le pire soit toujours sûr, mais que le meilleur soit toujours incertain », et s'absout en expliquant que « le mal que je te fais ne s'oppose pas au bien que je prodigue : il est couplé, livré avec, compris avec. Il n'en est pas l'inverse, ni même le complément : simplement, c'est la même chose. Comme j'aime, je dois détruire. »

Il a pourtant été percuté par cette rencontre, cette femme a bousculé ses certitudes sans quoi il n'aurait pu écrire : « Ce serait toi, c'était toi, l'élue. Je ne voulais pas me marier parce que le mariage c'est pour toute la vie, et que toute la vie, pour t'aimer, me semblait un peu court. »

« En attendant, je suis ce mort qui respire. »
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