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Citations sur L'Officier de Fortune (7)

La Flamberge prit un air de componction contrite, croisa ses mains sur sa poitrine, et d'une voix qui ressemblait au nasillement d'un capuçin espagnol :
- Je suis un grand criminel, - murmura-t-il.
L'hôtelier bondit.
- Vous, un criminel ?
- Hélas ! Oui ! Tout mortel est un pêcheur, mais je suis le plus grand de tous.
- Quoi ? Auriez-vous dévalisé quelqu'un ? Assassiné un homme d'église ? Violé une nonne ? Abattu le crucifix ?...
- J'ai fait pis que tout cela.
L'hôtelier fit le signe de la croix.
- Jésus Dieu ! Je ne puis pas vous conserver dans mon hôtel. Fuyez, malheureux, vous et vos chevaux ! Votre présence souille la pureté de mon établissement !
- Ne vous emportez point, mon frère, la colère est un crime que Dieu punit et que les hommes réprouvent.
- Votre frère !... Jamais !...
- Patience, je suis à la confidence...
La curiosité l'emporta sur l'horreur; l'hôtelier reprit sa position d'auditeur profondément attentif.
- Tel que vous me voyez, - narra La Flamberge, - je ne suis point un soldat, je suis un religieux.
- Un religieux ? - fit l'hôte en levant les mains vers le ciel, ou plutôt vers le plafond de la salle.
- Hélas oui ! Mais les passions habitent sous le froc comme sous le justeaucorps. On n'est maître ni de ses pensées mauvaises, ni des tentations de la chair, parce qu'on habite un couvent plutôt qu'une hôtellerie.
- Cela est vrai.
- Chez moi, les passions furent victorieuses. Je sortis de mon couvent sous prétexte de recourir à la charité publique pour l'érection d'une chapelle; mais voici qui doit vous faire frémir.
- Quoi donc ? Dites vite.
- Eh bien ! Je profitai de ma liberté pour en abuser.
- Après ?
- Eh ! J'en abusai, voilà tout; je fis des orgies; j'eus des maîtresses; je me battis comme un soudard.
- Est-ce tout ?
- Certainement. N'est-ce pas un crime à faire dresser les cheveux sur le front même des hommes chauves ?
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- Les femmes aiment beaucoup les hommes forts.
- Alors, Capitaine, vous devez être beaucoup aimé.
- Je parle des Ecossaises, et non pas des Comtoises, des Bourguignonnes ou des Françaises. Ces femmes--là, mon brave Eben, raffolent des gens qui sont continuellement malades, qui chantent sur un ton plaintif leur amoureux souci, et qui paraissent avoir la tête dans les nuages et les pieds dans la tombe.
- Oh ! C'est parce qu'elles espèrent devenir veuves plus tôt.
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- Quel est donc votre avis ?
- Oh ! J'en ai plusieurs, mais je les résume en un seul ou je me tais.
- Ah ! Farceur de Dumontet, vous en savez plus long que vous ne voulez en dire.
- Peut-être, messires, mais j'ai toujours entendu soutenir que trop parler nuit. Un grand savant, qui avait le malheur d'être bossu, et qui n'en riait pas moins pour autant, un nommé Esopus, si je ne me trompe, servit un jour à Charlemagne un plat de langues en lui disant : "Votre Altesse voit devant elle ce qu'il y a de meilleur et de plus mauvais au monde".
L'érudition fantaisiste de maître Dumontet lui valut une triple salve d'applaudissements.
Encouragé par cette approbation, il continua, avec une augmentation et un redoublement de solennité :
- Voilà pourquoi, messires, toutes et quantes fois, ou toutes fois et quantes que l'on me demande mon opinion, je me retranche derrière le bastion de la prudence.
- Mais, - interrompit le teinturier, - pour qui nous prenez-vous, messire Dumontet ? S'il y a de l'indiscrétion, nous n'irons pas l'exprimer sur la tête des gens, comme un haut-de-chausses que l'on tord en le tirant de la chaudière. Ce qui entre par l'oreille droite sort par l'oreille gauche. Nous sommes des amis, morbleu !...
- Je le sais; j'ai, du reste, la réputation de n'avoir pas d'ennemis. Les haines, voyez-vous, un grand homme l'a dit dans les temps anciens, les haines vous attirent toujours des désagréments.
Pendant cette période de Maître Dumontet, un nouvel interlocuteur s'était glissé au milieu du groupe, où son costume excita une vive hilarité.
Ce personnage n'était autre que Maître Jehan Loyson.
- Or ça, - dit-il au cabaretier, - je crois que vous seriez fort embarrassé de nommer le grand homme qui a prononcé la phrase dont vous venez de vous rendre coupable, à moins, toutefois, que ce grand homme ne soit vous-même ?
Dumontet rougit jusqu'au blanc des yeux.
- Ce grand homme, messire, s'appelle Epaminondas, - dit-il.
- Mille sornettes !... Si sa valeur était en raison directe de la longueur de son nom, il devait, en effet, être un grand homme.
- Un poète très distingué, - ajouta Dumontet.
Le bouffon, qui avait une légère connaissance d'Histoire, laissa glisser un sourire moqueur sur ses lèvres de parchemin.
- Tout ceci, maître Dumontet, vous éloigne fort de votre sujet. Je parierais ma folie contre votre raison que toutes vos réticences n'ont d'autre but que de dissimuler votre ignorance profonde...
- Comment l'entendez-vous, messire Loyson ?
- Je dis que vous ne savez absolument rien de la disparition du savant Fovetius.
- Qui peut vous faire croire cela ?
- Vous me permettrez de garder mon secret à mon tour, mais moi, je sais parfaitement où il est.
- Vous !... - s'écrièrent tous les assistants.
Et la galerie s'empressa d'abandonner Dumontet pour se ranger autour du bouffon, qui prenait dès lors les proprtions d'un haut personnage.
- Oui, moi, messires, continua Loyson; mais comme je n'ai pas les mêmes motifs de dissimulation que maître Dumontet, je vais vous dire ce que je sais. D'abord, permettez-moi de résumer toutes les versions.
Un mouvement de curiosité se manifesta dans l'auditoire.
Le bouffon reprit :
- Hier, j'étais au couvent des Annonciades; chacun s'entretenait de l'évènement singulier qui vous préoccupe. Messire Philippe de Comines, lequel est, comme chacun sait, un très grand clerc, prétendait qu'une princesse de la Forêt-Noire, malade depuis fort longtemps, réclamait en vain les secours de maître Fovetius. Voyant l'opiniâtreté dudit Fovetius, elle le fit enlever par vingt soldats déguisés en charbonniers.
- Sacrebleu ! - s'écria le teinturier, - je suis de l'avis de messire de Comines.
- Vous jurez beaucoup trop en "bleu", messire, cela dénote votre profession. Mais j'ai le malheur de n'être ni de votre avis, ni de celui de mon ami Comines.
- Son ami, - murmura Dumontet en se tournant vers les bourgeois, qui devinrent tout à coup très respectueux envers le fou.
Celui-ci reprit :
- Messire de La Baume, le secrétaire de son Altesse, avança, de son côté, qu'il avait aperçu maître Fovetius à califourchon sur un manche à balai et courant au sabbat dans la direction des Etangs-Gris, près de la forêt de Breurey.
- Bon Dieu ! - fit le teinturier, en se signant, - lui qui a traité ma femme dans sa dernière maladie ! Si elle allait devenir possédée du diable !... J'ai déjà remarqué quelques symptômes.
- Toutes les femmes, - ajouta gravement le fou, - sont possédées du diable à un plus ou moins haut degré, c'est ce qui explique pourquoi leurs maris les envoient régulièrement au diable quatre ou cinq fois par jour.
Les célibataires du groupe battirent des mains.
- L'opinion émise par mon ami La Baume ne satisfaisait pas complètement ma raison; aussi j'allais aux informations auprès d'un homme en qui j'ai toute confiance et qui habite la maison de maître Fovetius. Cet homme est infiniment plus érudit encore que votre apothicaire. C'est pourquoi j'ai adopté sa version sans conteste.
Le groupe se resserra de plus en plus. (...)
- Il m'a dit que maître Fovetius s'occupant beaucoup d'alchimie, comme feu Nicolas Flamel, qui vivait au temps du duc Jean-Sans-Peur et du roi de France Charles VI, il avait bien pu être grillé comme un poisson dans son laboratoire. Il se rappelle même avoir entendu des bruits étranges dans la maison de l'apothicaire, et il ne serait pas étonnant que ces bruits eussent été produits par sa vilaine âme quand elle s'échappa de son corps. Il faut donc faire son deuil de maître Fovetius. C'était une vieille cornue; elle a éclaté et voilà tout.
Le silence de la stupeur accueillit cette révélation.
Messire Dumontet s'interposa.
- C'est précisément, messires, - dit-il, - la grave confidence que je n'osais vous faire; cet honorable gentilhomme m'a prévenu.
Un nouveau sourire, encore plus sardonique que le premier, erra sur les lèvres du fou.
- Vous aviez, - dit-il, - probablement lu cela dans les oeuvres du grand poète Epaminondas.
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Sur ce, maître Fovetius se dirigea du côté des Annonciades. Ce n'était plus l'homme que nous avons vu au Châtelet, jouant avec le crime comme un chat avec une pelote, ironique et moqueur comme Méphistophélès, dominant du haut de sa puissance du moment le redoutable commandant des lansquenets. Non !...
Sa taille s'était courbée subitement; son visage d'oiseau de proie avait revêtu la candide expression de celui du marchand qui veut amadouer la pratique, ou d'un bourgeois qui demande à un député une bourse pour son fils.
Il évitait pudiquement les regards, saluait avec une humilité profonde les boutiquiers assis devant leur porte, même les mendiants accroupis devant la porte des autres.
Cette politesse, rehaussée par une haute réputation de science, avait conquis à Maître Fovetius les plus chaudes sympathies. Pas un habitant de la bonne ville n'eût hésité un instant à confier, au docte barbier, sa tête pour le raser, son corps pour le médicamenter, sa fortune pour la faire croître et embellir.
Aussi, recueillait-il, par une clientèle nombreuse et généreuse, le fruit de ses démonstrations hypocrites. Personne n'était plus riche que lui, et grâce à un privilège aussi admirable que rare, personne n'était jaloux de cette étonnante fortune.
Quelques esprits chagrins se disaient bien, sans doute, que maître Fovetius était peu charitable, qu'il faisait payer ses visites excessivement cher et ses drogues à un prix exorbitant; mais il se trouvait toujours là quelque vieille femme, "forte en gueule" comme dit Molière, qui prétendait avoir été guérie gratuitement par le savant homme. Du reste, les calomniateurs étaient toujours punis comme ils le méritaient : les maladies les atteignaient de préférence. On se rappelait qu'un jour, le garçon droguiste de Fovetius, ayant menacé son maître de faire certaines révélations, évidemment mensongères, était tombé mort en sortant de l'officine du médecin.
Bref !... Sous une foule de points de vues, maître Fovetius était un homme très bien posé dans la ville; ici, sur le piédestal de l'estime; là, sur celui du respect; partout, sur celui de la crainte.
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- Vous l'aimez donc bien ?
- Si je l'aime ? Demandez au roseau s'il n'aime pas l'arbre qui l'abrite. Demandez à la mère si elle n'aime pas son enfant ! Eh bien, moi, j'aime plus que cela; j'aime plus loin que la folie, plus loin que le déshonneur, plus loin que le crime ! J'aime comme on n'a jamais aimé depuis le jour où Dieu créa l'Homme.
- Eh bien, pourquoi ne vous aimerait-on pas ? - Vous êtes beau, vous êtes de haute lignée. Peut-être un jour, - que ce jour soit lent à venir ! - la fille du téméraire sera-t-elle obligée de demander asile au fils du comte Ulrich de Wurtemberg !
- Croyez-vous capitaine ?... Oh ! Vous êtes fort, vous, je vous le répète.
- Moi... Hélas ! Si vous m'aviez vu me courber devant une femme qui ne mérite pas le nom de femme, Henri !... Si vous aviez vu le géant, le Cyclope, le Titan, l'Hercule, pleurer comme un enfant aux pieds d'une Omphale que la foudre du ciel un jour écrasera, si elle ne l'a point écrasée déjà, - Oh ! Alors, vous auriez dit : ce géant est un pygmée; ce Cyclope est un mirmidon; ce Titan est un ver de terre; cet Hercule est un atome. Que j'étais faible, Barbe-de-bouc !... Que j'étais faible... Aujourd'hui, voilà ma maîtresse : c'est mon épée; voilà la dame de mes pensées : c'est la vengeance ! Je possède l'une; l'autre viendra !...
- Et ce coeur que vous avez sous le sein gauche, messire, ce brave coeur si plein de générosité, si débordant de courage, croyez-vous qu'il restera muet ? Répondez-moi !
- Je lui ai arraché la langue, messire ! Mon coeur était une maison pleine de convives; j'en ai chassé un.
- Lequel ?
- L'amour !
- Pourquoi ?
- Parce que ce convive-là mangeait la part des autres !...
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Messire Henri du Lion, ainsi que nous l'avons dit, était allé promener ses rêveries dans le jardin des Annonciades.
Indifférent à toutes les passions qui s'agitaient autour de Charles, le pauvre jeune homme se renfermait dans celle qui remplissait son coeur. Il erra longtemps parmi les grands arbres dépouillés par les premiers souffles de l'hiver et les statues blanches dont les yeux de pierre semblaient le regarder passer.
Puis, il vint s'asseoir sur un banc de pierre, d'où l'on pouvait découvrir les fenêtres de la duchesse. - Les rumeurs confuses qui s'échappaient des rues et du pavillon ducal mouraient en sourdes vibrations dans le lieu où il se trouvait, et la cloche du Martroy versait autour de lui la mélancolie de ses tintements.
Des parfums âcres et doux, exhalés des feuilles sèches roulées par le vent, des mousses tremblantes sur les murs, des fumées qui sortaient des habitations voisines, et confondaient dans les cieux gris leurs légers anneaux entrelacés, enveloppaient le jeune homme, pénétraient tous ses sens.
Masqué par le tronc d'un tilleul, à l'heure où la prière sonna, il vit passer comme des ombres les religieuses qui se rendaient à leur chapelle. Son coeur se serra. - Les unes étaient pâles, avec des grands yeux noirs. Elles semblaient résignées. - Les autres étaient blondes avec des joues rosées, des lèvres humides, elles semblaient heureuses.
Un certain nombre, cependant, pauvres roseaux fânés par la sécheresse du coeur, effeuillés au souffle des asirations inassouvies, regardaient autour d'elles avec un sourire étrange. - Sous leur corsage étroit, défendu par un triple fichu de laine blanche, on pressentait des tressaillements et des révoltes.
Henri pleura au fond de lui-même sur ces colombes prisonnières dans une cage sans amour.
- Elles sont encore plus malheureuses que moi - pensa-t-il; - moi, du moins, je peux songer sans crime à celle que j'aime, je peux retourner le poignard dans la plaie, chercher le sourire de ma reine, me plonger dans la contemplation de ces grâces d'enfant unies aux beautés de la femme ! Elles, pauvres filles ! Il faut qu'elles acceptent jusqu'à l'oubli leur douloureux sacrifice; leur moindre rêve d'amour est un crime, leur plus chaste désir est un sacrilège !
Et il suivit des yeux et du coeur la lente procession. Les religieuses passèrent l'une après l'autre, silencieuses et recueillies, dans l'allée qui conduisait au sanctuaire. - Le sable criait sous leurs pieds.
Lorsque la porte de la chapelle se fut refermée sur elles, que les chants pieux élevèrent sous la voûte les touchantes psalmodies des invocations latines, Henri se leva.
Il se mit à errer le long des plates-bandes qui couraient au pied des cellules. - La solitude la plus complète régnait autour de lui. Instinctivement, ses yeux se portèrent sur les fenêtres des saintes filles.
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Pendant que l'Ecossais remplissait jusqu'aux bords son verre, qui donnait une idée du tonneau des Danaïdes, l'ex-capitaine se dressa, souleva le sien à la hauteur de ses lèvres et, étendant la main gauche avec solennité :
- Allons, Donald, - dit-il, - faites-moi raison, je vais boire à la vieille Ecosse !
Eben se leva machinalement à son tour, mais la réflexion lui vint; il se rassit :
- A quoi bon ? - grommela-t-il, - la vieille Ecosse n'existe plus !...
Le géant approcha son siège de celui du garde.
- Et pourquoi n'existe-t-elle plus, Donald ?
- Je ne sais !
- Eh bien ! Moi, je vais vous le dire... Vous avez un secret que je voudrais apprendre, fut-ce au prix d'un doigt de ma main. Je ne vous le demanderai cependant pas ! - Il va se dénouer bientôt, je le prévois, quelque intrigue infâme ! Mais je ne puis vous en vouloir de vous y être associé. Vous êtes un instrument que l'on achète aujourd'hui et que l'on peut briser demain. C'est le bras qui vous dirige qui commet le crime, et non pas vous...
Eben regardait le capitaine avec étonnement; son verre restait stationnaire dans sa main, entre ses lèvres et la table.
Le géant continua :
- Tels n'étaient pas vos pères, Eben, c'étaient d'honnêtes gentilhommes, libres comme l'air de leurs montagnes, ne s'inclinant que devant les vieillards et les héros, ne se vendant point, gardant leur sang pour la défense de leur famille et de leur patrie. Quand ils passaient, les jambes nues, dans ces hardis sentiers de rochers, où la chèvre ne se hasarde qu'en tremblant, et que la cornemuse des Highlands retentissait, on disait dans les plaines : Voilà les rois des montagnes ! Les blondes filles qui lavent leurs pieds dans le golfe de Solway, pansaient les blessures des guerriers, chantaient leurs victoires, tressaient des couronnes de bruyères : on élevait sur un bouclier de fer le triomphateur, et tout le peuple criait autour de lui : Voilà un demi-dieu !... C'était le beau temps, Eben; vous grandissiez aux bardits des épées; le bruit des armes couvrait vos vagissements, et sur votre berceau, la Liberté, votre nourrice, penchait ses mamelles puissantes...
Le garde ne répondit rien. Une nouvelle larme, plus amère que la première, sillonna ses joues bronzées.
- Oui, c'était le beau temps, - reprit le capitaine, - Vous étiez une grande et forte nation. Wallace se taillait un royaume à coups de claymores. David Huntinghton en trouvait un aux bords du Nil, sous la bannière de Richard-Coeur-de-Lion. Maintenant, vous l'avez dit, vous n'existez plus ! Vous êtes rayés du grand livre des peuples. Les vents des monts Chéviot a balayé votre gloire dans les gouffres de la mer avec la poussière de vos ancêtres. Puis, vous êtes partis l'un après l'autre, insoucieux, sans tourner la tête, l'épée aux flancs, l'arquebuse sur l'épaule, attirés par ce météore d'argent qui brille aux potences du Plessis. On a calculé ce que valaient votre sang, votre honneur, votre nationalité; on vous a marchandé à l'encan des nations, comme on marchande les chevaux sur la place d'Edimbourg. Et vous avez servi de monture à ces trois machinateurs qu'on appelle : Tristan-L'Ermite, Olivier-Le-Dain et Louis XI, trois puissants scélérats qui ont dans les veines du sang de loup, de vautour et de renard, pour les fourberies, les brigandages et les assassinats !...
La voix du géant s'était successivement élevée : elle prit alors une intonation foudroyante :
- Et vous, fils du vieux Rob, vous, Eben Donald, qu'êtes-vous devenu ? Qu'est-ce que l'on a fait de vous ? On vous a claquemuré dans une forteresse silencieuse, entre le bourreau et les cadavres des gentilhommes qu'il a pendu. On a mis à votre gauche la honte et une poignée d'or, à votre droite l'honneur et le gibet. Et l'on vous a dit : Choisissez ! Vous avez eu vos frères égorgés à Montlhéry, et dans les plaines comtoises au signal d'un monarque étranger. Puis, un jour, on vous a jeté sur un brasier, parce que vous aviez cherché dans l'ivresse l'oubli de votre dégradation !...
Le géant se croisa les bras en attendant le résultat de sa vigoureuse homélie.
Tour à tour, le garde avait rougi, pâli, frissonné, tremblé. Pendant qu'un étranger lui rappelait ses ancêtres, un rayon d'enthousiasme avait flamboyé dans ses yeux. - Lorsque le tableau des souvenirs du passé se fut chargé des sombres couleurs du présent, lorsque le capitaine lui parla de sa gloire flétrie, de son histoire effacée, de son enfance guerrière souriant au milieu des bruits qui épouvantent les hommes faits et précédant une adolescence malheureuse, le front d'Eben s'était plissé de rides laborieuses. - Mais quand il lui eût dépeint sa honte, la figure de l'Ecossais devint livide, ses bras se raidirent, son verre tomba sur la table.
- Déshonoré !... Vendu !... murmura-t-il.
Et un râle aigu, plein de sourdes imprécations, se lamenta dans son gosier; sa tête se pencha sur sa poitrine, ses ongles s'enfoncèrent dans sa chair.
- Déshonoré !... Vendu !... répéta-t-il.
Cette douleur profonde fit pitié au géant.
- Si j'ai mis le doigt sur la plaie, Eben, je vous indique maintenant le remède...
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