Amédée avait beaucoup de sympathie pour les lapins. C'étaient des bêtes tranquilles, contentes d'un rien, et silencieuses.
Ragris marchait de plus en plus vite parce qu'il était de plus en plus inquiet. Il se demandait si Pignolle aurait tenu sa promesse. "C'est un faible, songeait-il, un des meilleurs gars que je connaisse mais un faible". Quand il déboucha sur la place de l'église, il vit avec étonnement que ses craintes n'étaient pas justifiées. Pignolle s'était admirablement comporté. Il offrait ses derniers bouquets aux dames qui sortaient de la grand-messe.
C'était un Pignolle correct, proprement vêtu, qui vendait son muguet avec un mot aimable et sans insistance. Ragris poussa un soupir de soulagement...
(extrait du chapitre IV)
-Que voulez-vous faire de tout ce muguet? demanda le paysan.
-Nous allons le vendre demain matin en ville, répondit Ragris.
-C'est à peine croyable. Les gens se plaignent que la vie est chère et ils achètent des fleurs. Tenez, moi qui vous parle, je n'arrive pas à vendre mes pommes de terre.
-Le muguet porte bonheur, constata Pignolle. Pas les pommes de terre.
Noël au marais, c'est un Noël criblé d'étoiles
-ces étoiles qu'on voit si mal dans les villes où elles sont prisonnières des toits.
"Son visage ridé ressemblait à une jolie pomme rose après la gelée."
"Il remarquait que ce sont surtout les riches qui se plaignent de la dureté des temps. Ah! si Laurent avait connu les poubelles ! Une fois que Laurent se plaignait encore, il le lui dit :
- Autrefois, je n'avais qu'un âne. J'étais heureux. Je trouvais que je gagnais bien ma vie.
- Taisez-vous, avait répondu Laurent. N'en parlez jamais.
- Et, Marthe avait ajouté
- Il a raison, papa. On rirait de nous."
-Comprends donc. Le gars du marais, c'est celui qui vit de l'air et du temps. Il ne touche pas le chômage. Il vend du muguet, du poisson, des grenouilles, selon la saison. Et quand il n'a rien à vendre, il ne vend rien et il vit tout de même. Les bourgeois n'aiment pas cela, Pignolle. Ils pensent que ce n'est pas régulier.
Noël au marais, c’est un Noël criblé d’étoiles – ces étoiles qu’on voit si mal dans les villes où elles sont prisonnières des toits. Au marais, les étoiles sont vivantes, amies des hommes. Elles scintillent et veillent sur la plaine endormie. On les voit toutes, même les plus timides qui n’osent pas s’éloigner de l’horizon.
La chaleur montait de la route en une vapeur scintillante. Il y avait dans l’air des senteurs d’aubépine et de crottin.
La dureté des temps! Quand on compte avec des millions! Cela laissait Pépé rêveur. Il remarquait que ce sont surtout les riches qui se plaignent de la dureté des temps.
Marthe vit son col déchiré et, sur le visage du petit homme, ces mille rides enchevêtrées que font le vent et la misère.
Le temps n’était pas venu de partir. En avril ce serait mieux. C’est en avril que les routes ont cette exaltante odeur d’aventure.