Je contemplais l'eau où les reflets des nuages en se dispersant révélaient la lune. La même lune que j'avais connue quand j'étais John Daker. Avec le même visage débonnaire contemplant avec satisfaction la planète autour de laquelle elle tournait et les bouffonneries de ses créatures. Combien de désastres avait-elle vus ? Combien de croisades insensées ? Combien de guerres, de batailles, de meurtres ?
Leurs armures étaient cannelées, agrémentées de motifs en bosse, surchargés et magnifiques, mais, selon mes quelques lectures et les souvenirs d'Erekosë qui se réveillaient, totalement inadaptées au combat. Le cannelage et le bosselage formaient des pièges où venait se fixer la pointe d'une lance ou d'une épée, alors qu'une armure doit être conçue pour la détourner. Ces armures, en dépit de toute leur beauté, représentaient plus un surcroît de danger qu'une protection.
- Je suis prêt, dis-je.
Iolinda frissonna.
- Alors quittons cet endroit de ténèbres, murmura-t-elle.
Avec un dernier regard à l'estrade sur laquelle reposait toujours le tas de poussière, je sortis de ma propre tombe.
Ils m'ont appelé et je suis venu à eux. Je ne pouvais faire autrement. La volonté de l'Humanité tout entière était une chose puissante. Elle a fracassé les noeuds du temps et les chaînes de l'espace pour me rejoindre et m'a entraîné vers elle.
Les paradoxes qui étaient en moi étaient dans toute la race. Les problèmes auxquels je ne parvenais pas à trouver de solution n'avaient effectivement aucune solution.
Ils m'ont appelé.
C'est tout ce dont je sois sûr.
Ils m'ont appelé et je suis venu à eux. Je ne pouvais faire autrement. La volonté de l'humanité tout entière était une chose puissante. Elle a fracassé les noeuds du temps et les chaînes de l'espace pour me rejoindre et m'a entraîné vers elle.
Pourquoi ai-je été choisi ? Je n'en sais toujours rien, même s'ils ont cru me l'avoir dit. Et maintenant c'est fait, et je suis ici. Je serai toujours ici et si, comme me le disent les sages, le temps est cyclique, alors je retournerai un jour à la partie du cycle que j'ai quittée et que je connaissais sous le nom de vingtième siècle après Jésus-Christ de l'Age des Hommes, car (cela n'était ni mon fait ni mon souhait) je suis immortel.
(Prologue)
La race humaine avait juré d'exterminer les Xénans. Après quoi, bien sûr, elle se retournerait contre elle-même et reprendrait ses perpétuelles querelles, ses guerres incessantes auxquelles l'astreignait sa singulière destinée.
Avais-je flotté une éternité dans les limbes ? Étais-je vivant - mort ? Y avait-il le souvenir d'un monde existant dans le passé lointain ou l'avenir éloigné ? D'un autre monde apparemment plus proche ? Et les noms ? Étais-je John Daker ou Erekosë ? Étais-je l'un et l'autre ? Bien d'autres noms - Corum Bannan Flurrun, Aubec, Elric, Rackhir, Simon, Cornelius, Asquinol, Hawkmoon - s'enfuyaient sur les rivières spectrales de ma mémoire. Désincarné, je flottais dans l'obscurité.