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Critique de Virginieriaute


Je crois qu'elle avait 85 ans quand Toni Morrison a écrit God help the child ( Délivrances en français ). Quelle vivacité dans le ton ! si moderne, si intemporel, si sensuel ! Dérision, nonchalance, sensualité, la plume de Morrison glisse sur cette large palette d'intentions avec succès.
Intrication de litotes et de métaphores puis rythme et emphase qui apportent au texte un lyrisme poétique tant dans les descriptions que dans les dialogues. Non-dits, silences, suggestions, intuitions…
L'auteur nous propose un roman hybride, original, savant mélange de roman choral à la 1er personne du singulier, en nous éparpillant volontairement dans diverses temporalités et d'une grosse partie en narrateur omniscient, mais sans jamais perdre de vue Lula Ann Bridewell, son héroïne, enfant dont la malédiction est d'être née noire, dans une famille parvenue au fil des générations et des métissages à faire croire qu'ils étaient blancs. Abandonnée par son père à la naissance, elle ne devra jamais appeler sa mère que par Sweetness ( Douceur ). Gamine, elle subit la cruauté que lui vaut sa couleur de peau. Adulte, elle fait de cette couleur un atout et se transforme en bombe atomique ténébreuse, se fait appeler Bride ( jeune mariée) et ne s'habille que de blanc. Au volant de sa jaguar, elle réussit professionnellement, croque la vie, et les hommes aussi. Jusqu'à cette rupture inexpliquée.
De nombreux sujets abordés dans ce roman de moins de 200 pages : sociologie, ethnie, religion, comme souvent en littérature américaine, mais c'est surtout sa forme hybride qui fait son originalité et l'écriture qui lui apporte toute sa dignité.
L'auteure joue de ces voix, de ces temporalités, de tous les symboles et clichés de cette Amérique actuelle, pour dresser un portrait humaniste de cette héroïne aux comportements ambivalents tout en esquissant des portraits riches voire exceptionnels parmi certains seconds rôles ( Booker, Queen ).
Tantôt romanesque, tantôt dans un réalisme magique, écriture toute en nuances, tantôt sombre, tantôt lumineuse, elle brosse néanmoins sans concession le portrait de cette femme que nous accompagnerons dans les coulisses de la vérité, quand les mensonges et les traumatismes de l'enfance tomberont, comme une intrigue parfaitement réussie, à la toute fin du roman.
« Tant que Toni Morrison continuera à bâtir sa saga de la race maudite, Faulkner ne sera pas mort » disait un journaliste. La petite fille d'anciens esclaves, au port altier, première afro-américaine à obtenir le prix Nobel de littérature, aura vu un afro-américain accéder à la présidence des Etats-Unis, puis Donald Trump lui succéder, est morte en 2019.
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