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Critique de LiliGalipette


Si elle avait de jolis yeux bleus, Pecola est persuadée que ses parents ne se battraient plus et qu'elle serait plus heureuse. « Une petite fille noire qui brûle d'avoir les yeux bleus d'une petite fille blanche, et l'horreur au coeur de son destin n'a d'égal que le mal de son accomplissement. » (p. 141) Pauvre Pecola, son rêve reste inaccompli et sa jeune existence est marquée par l'indicible. Claudia, dont les parents ont un temps hébergé la gamine, raconte cette histoire où violence et résignation se mêlent étroitement, tristement, inévitablement. « Les insultes faisaient partie des ennuis de l'existence. » (p. 108) Dans la rue et à l'école, les petites filles noires admirent les jolies métisses à la peau claire et aux cheveux souples, comme si la beauté donnait la seule place valable dans l'échelle sociale. Et pourtant, elles sont encore si jeunes, toutes ces mômes. Elles comprennent si peu les jeux plus ou moins sages des adultes. Mais elles pressentent que quand elles comprendront, l'innocence sera perdue. « Que nous manquait-il ? Pourquoi était-ce si important ? Et alors ? Franches et dépourvues de vanité, nous nous aimions encore. Nous nous sentions bien dans notre peau, ce que nos sens nous faisaient découvrir nous réjouissait, nous admirions notre crasse, nous cultivions nos cicatrices, et nous ne pouvions comprendre cette indignité. » (p. 52 & 53)

Différentes voix et différentes histoires constituent le premier roman de Toni Morrison qui, en substance, contient tous les thèmes et toute la force de ses futurs écrits. « de nouveau la haine mêlée à la tendresse. La haine l'empêchée de la relever, la tendresse l'a obligée à la couvrir. » (p. 115) Entre sordide et sublime, on trouve le viol, l'inceste, la pédophilie, l'identité, la solitude et les mille façons de souffrir que connaissent les pauvres et les oubliés. Pecola est une figure sacrificielle bouleversante, agneau noir et boiteux immolé en vain. « Nous étions si beaux quand nous avions chevauché sa laideur. Sa simplicité nous décorait, ses remords nous sanctifiait, grâce à sa douleur nous rayonnions de santé, grâce à sa maladresse nous pensions avoir le sens de l'humour. Son défaut de prononciation nous faisait croire à notre éloquence. Sa pauvreté nous rendait généreux. Nous utilisions même ses rêves éveillés pour imposer le silence à nos cauchemars. » (p. 142) L'oeil le plus bleu est une élégie troublante, presque l'éloge funèbre des rêves perdus de toutes les petites filles.
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