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Critique de Bloglitterairedecalliope


« Etant une minorité à la fois comme caste et comme classe, nous vivions sur l'ourlet de la vie en luttant contre notre faiblesse et en nous battant pour nous accrocher ou pour grimper sans aide dans les grands plis du vêtement. »



C'est une terre où rien ne pousse. Dans l'Ohio, à Lorain, vivent Claudia et Frieda, deux enfants noires. L'une rêve de ressembler à Shirley Temple, l'autre a la haine des poupées blanches. Ce premier roman de Toni Morrison, rythmé par les saisons, aborde la question noire à travers le prisme de l'enfance. Ces deux petites filles sont comme tous les enfants du monde, elles découvrent la vie, les querelles d'écolières, les premières règles, la sexualité. Mais elles font surtout, et c'est bien là la différence, la dure expérience de leur condition d'enfant noire. Ainsi, Claudia voit dans le regard des blancs »l'absence totale de reconnaissance humaine- la séparation glacée », le dégoût et le vide. Leur chemin croise celui de Pecola, la petite fille noire qui prie pour avoir les yeux bleus. A travers ce récit, Toni Morrison montre à quel point les questions sociales et raciales sont étroitement imbriquées et elle met en évidence les différences de classes au sein même de la communauté noire aux Etats Unis. Les propriétaires se réjouissent d'échapper à la rue qui guette les locataires. Quand Maureen, la petite fille noire riche et belle, arrive à l'école, les enfants blanches en oublient la couleur de sa peau et ce sont les enfants noires qui refusent son intégration. Quant aux filles métisses de Mobile et d'Aiken dont le seul objectif est d'être lisses et parfaites, elles font preuve d'un terrifiant racisme anti-noir. Des figures pittoresques viennent malgré tout égayer ce récit sombre, Monsieur Henry, Pologne, Chine, Ligne Maginot, les prostituées libres et hautes en couleur qui vivent au dessus de la boutique des Breedlove, les parents de Pecola.

Dans ce récit, les thèmes de l'innocence et de la culpabilité s'entremêlent avec ceux de la beauté, du regard et de la différence. Mais c'est surtout la violence sous toutes ses formes que Toni Morrison explore avec une lucidité et une sincérité d'une puissance rare. La jeune Claudia éprouve cette violence avant d'apprendre à maîtriser ses pulsions de haine, consciente de la nécessité de s'adapter pour survivre. Roman publié en 1970, il n'en est pas moins actuel. Quarante ans après, Jesmyn Ward, dans les Moissons funèbres nous montre que les choses n'ont guère changé.

« Je cassais les poupées blanches. Mais l'écartèlement des poupées blanches n'a pas été la véritable horreur. La chose vraiment horrible a été le transfert des mêmes impulsions sur les petites filles blanches. l'indifférence avec laquelle j'aurais pu leur donner des coups de hache n'avait d'égal que mon désir de le faire. Découvrir ce qui m'échappait: le secret de la magie qu'elles tissaient sur les autres….. Quand j'ai appris à quel point cette violence était repoussante, parce que désintéressée, ma honte chercha un refuge. la meilleure cachette était l'amour. D'où la conversion du sadisme primitif en haine fabriquée et en amour hypocrite. C'était un premier pas vers Shirley Temple. J'ai appris plus tard à l'adorer, tout comme j'ai appris à faire mes délices de la propreté, en sachant, au moment même où je l'apprenais, que le changement était une adaptation mais pas une amélioration »



Toni Morrison a reçu en 1993 le prix Nobel de littérature. Elle est décédée le 5 août 2019.
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