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Critique de Sofiert


Même si ce premier roman de Toni Morrison évoque la situation des Afro-Américains dans les années 40, la question de l'identité noire et la négation de cette identité reste toujours une question d'actualité.
L'auteure met l'accent sur la construction de soi alors même que l'image que l'on a de soi est constamment devalorisée dans le regard de l'autre. Comment se construire devant cet oeil bleu qui juge et qui méprise ? Comment vivre en rêvant d'être blanc, blond aux yeux clairs parce que tout est tellement plus facile avec ces attributs. Comment la population noire a-t-elle pu à ce point intérioriser les normes de beauté raciste, vouloir se coiffer comme Jean Harlow et idolâtrer les poupées blondes aux yeux bleus.

Toni Morrison examine plus spécifiquement la condition des femmes. A force de blessures et de vexations, les femmes noires sont soumises à une forme de schizophrénie. Pour pouvoir travailler dans les familles blanches, elles doivent impérativement contenir leur colère, se montrer maternelles avec les enfants, prendre soin des jolies choses, préparer des repas savoureux, être dévouées pour le bien-être des employeurs.
De retour chez elles, dans la laideur du quotidien, elles ont le choix entre la colère et la folie.
Pauline Breedlove, la mère de Pecola, incarne cette contradiction qui lui fait préférer sa vie de domestique à sa vie de femme et de mère.
« Elles étaient entrées dans la vie par la porte de service. Convenables. Tout le monde était en position de leur donner des ordres. Les femmes blanches leur disaient : « Fais ça. » Les enfants blancs leur disaient : « Viens ici. » Les hommes noirs leur disaient : « Allonge-toi. » Les seuls dont elles n'avaient pas besoin de recevoir des insultes étaient les enfants noirs et les autres femmes noires. »

Dès le début du roman, l'auteure choisit la référence à la comptine de Dick et Jane – une série illustrée de livres sur une famille blanche de la classe moyenne, souvent utilisée pour apprendre aux enfants à lire dans les années 1940 –pour révéler le négatif de la photographie. Dans la vie d'une famille noire, il y a de vieilles masures, des pères alcooliques, violents et incestueux, des mères qui battent leurs enfants et des enfants qui rêvent d'avoir les yeux bleus pour avoir le droit d'entrer dans la comptine.

Mais il y a aussi Claudia, la petite narratrice noire, qui déteste Shirley Temple, déchiquette les poupées blondes et pourrait être la voix de Toni Morrison : " Nous nous sentions bien dans notre peau, ce que nos sens nous faisaient découvrir nous réjouissait, nous admirions notre crasse, nous cultivions nos cicatrices, et nous ne pouvions comprendre cette indignité."
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