C'est très angoissant d'être arraché à un monde, puis lâché dans un autre. On a beau s'accrocher fermement aux traditions, on perd ses racines. J'avais vu ça chez mes parents - les traditions changent. Nourriture, jours fériés, modes vestimentaires. On s'assimile, ou alors on vit toujours comme en exil.
Comment supportais-je de vivre dans un tel ennui ? Comment faisais-je pour ne pas m'arracher les cheveux ou ne pas devenir folle, parler toute seule, faire les cents pas, me sculpter des amis dans la neige ?
Tout l’été, j’avais été tellement fière de faire des tours en barque et de contempler la terre ferme, l’ensemble de ma propriété. C’était à moi. Je la possédais, je possédais ce sublime bout de la planète Terre. Il n’appartenait qu’à moi. Et l’île, avec son étrange promontoire et ses rochers dangereux, ses quelques pins solitaires, son myrtillier, enfin sa clairière juste assez vaste pour qu’on puisse y poser une couverture, tout ça aussi m’appartenait. Posséder me rassurait énormément. Personne ne pourrait jamais interférer. Le titre de propriété était à mon seul nom — l’ensemble des cinq hectares. Je n’avais même pas tout vu, à cause de mon allergie aux pins.
Elle s’appelait Magda. Personne ne saura jamais qui l’a tuée. Ce n’est pas moi. Voici son cadavre.