Il avait arrêté de rêver, en 1992, quand il était officiellement devenu psychanalyste, recevant dans le cabinet qu’il venait d’ouvrir son premier patient. La psychanaliste avait été son seul rêve, il l’avait réalisé et s’il rêvait encore la nuit il ne disait pas « j’ai rêvé » mais « j’ai produit un rêve auquel je vais pouvoir donner du sens
Il faut que je fasse quelque chose de ma vie, que j'ouvre un cinéma, n'importe quoi plutôt que de continuer à rêver comme si j'avais le temps.
J'avais l'impression que nous nous parlions beaucoup mais que nous ne nous disions rien.
Il ne dessinait plus. Les murs du salon était couverts de prospectus punaisés qu'il se contentait de rayer d'un, deux ou quatre traits (jamais trois) selon le dégoût qu'ils lui inspiraient. Le dégoût lui-même était une interprétation caduque, car François, quand je l'interrogeais à ce sujet, niait toute volonté d'avoir exprimé quelque chose qui fût de l'ordre d'une émotion. « J'organise les images que le monde m'envoie. » Telle était son oeuvre désormais. Il passait des heures, encastré dans son canapé, à observer les murs ainsi tapissés, élaborant à l'occasion une théorie macabre au sujet de la nouvelle piscine municipale (« une fosse commune », psalmodiait-il), des restaurants chinois et japonais, ou bien à peu près de n'importe quoi, « conspiration » était le mot revenant le plus régulièrement, à défaut d'inspiration, mettre un terme à son discours.
En toute chose j'ai cherché la paix et ne l'ai point trouvée. Sauf dans ma pièce en plus.
On tente de tenir les existences dont on ne veut plus dans les poches du passé mais ces poches se percent sans qu'on s'en aperçoive.
Le déjeuner fut atroce. Nous étions devenus des messieurs. Nous nous parlions comme tels.