- Quand vous aurez des enfants, Louisa, rétorqua-t-elle enfin, vous aurez peut-être une vague idée de ce dont je parle.
Oh, la carte maîtresse de tout parent. Comment pouvais-je comprendre ?
-D'après toi, ça prend combien de temps de se remettre de la mort de quelqu'un ? Quelqu'un qu'on aime vraiment ?
- Je ne suis pas sûr qu'on s'en remette jamais complètement. On apprend à vivre avec. Avec eux. Parce qu'ils restent en nous, même s'ils ne sont plus là en chair et en os. Ce n'est plus le chagrin dévastateur du début, celui qui te submerge, te donne envie de pleurer en permanence, te faire ressentir cette colère insensée contre tous les idiots qui sont toujours en vie alors que la personne que tu aimes est morte... Non, c'est juste un vide dont tu dois apprendre à t'accommoder. C'est comme si un trou s'était formé en toi et que tu devais l'accepter sans broncher. Je ne sais pas. C'est comme... Comme si tu étais un petit pain et que tu devenais un donut.
Je ne pouvais lui avouer que je n'étais jamais triste en sa présence, ni qu'il me rendait si heureuse que cela m'effrayait. Je songeai à quel point j'aimais l'idée d'avoir ses courses dans mon frigo, à ma façon de vérifier mon téléphone vingt fois par jour en guettant ses messages, à l'habitude que j'avais prise d'imaginer son corps nu au travail avant de devoir penser très fort à de la cire pour plancher ou à des reçus de caisse enregistreuse afin de m'empêcher de trop rougir.
-Divorcer ? Je suis une bonne catholique, Louisa. Nous ne divorçons pas. Nous nous contentons de faire souffrir nos hommes pour l'éternité.
En gros, les adolescents sont des nourrissons bourrés d'hormones : assez vieux pour avoir envie de faire des tas de choses, mais trop jeunes pour être capables d'y réfléchir.
— Maman, tu n’as pas l’intention de divorcer ?
À ces mots, elle écarquilla les yeux.
— Divorcer ? Je suis une bonne catholique, Louisa. Nous ne divorçons pas. Nous nous contentons de faire souffrir nos hommes pour l’éternité.
J'étais bien placée pour savoir que le personnage qu'on choisit de présenter au monde pouvait être très différent de ce que nous étions réellement. Je savais que le chagrin pouvait nous faire agir d'une manière que nous-mêmes étions incapables de comprendre.
Le plus dur lorsque l’on s’adressait à un adolescent, c'était que vos propos, quels qu’ils soient, étaient systématiquement reçus avec le même mépris que les élucubrations d’une vieille tante soûle lors d’un mariage.
La dépression se nourrit de vide.
Je ne veux pas que mon bonheur dépende de quelqu'un d'autre, je refuse d'être l'otage d'un destin que je ne peux contrôler.