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Critique de Alzie


Etranger quelque part, étranger à soi-même, étranger l'un à l'autre... trois variations aux échos infinis sur l'identité illustrées par la quête personnelle d'un jeune hongrois venu s'installer à Paris en 1926. Il a 28 ans et on ignore son nom ; docteur en philosophie il arrive à Paris sans but déterminé, après un an passé à Berlin, et découvre la capitale française qui lui est parfaitement inconnue. Il y rencontre d'autres étrangers, comme lui, ou des compatriotes, connaissant des situations peu ou prou similaires à la sienne : Borsi, un sculpteur Hongrois, Vassilieff, un Russe originaire de Kazan. Ce sont eux, au début, qu'on identifie comme les étrangers. L'art, l'exil, le statut de l'étranger, l'identité, l'Europe, sont au coeur de leurs réflexions. Ces thèmes sont traités sans pathos, avec ironie, désinvolture presque. Tout au long de cette première partie, le jeune homme s'interroge sur la forme que pourrait ou devrait prendre son avenir, ici, ailleurs, ou "là-bas chez lui". Formule qu'il ressasse à l'envi quand il se sent exclus ou renvoyé à ses origines, reprise de la bouche même de l'un des rares Français, Emile, qu'il côtoie. "Là-bas chez eux" a expliqué un jour Emile en parlant de lui à Eva sa compagne, par opposition à "ici chez nous" bien évidemment. Les bouffées de xénophobie de la même Eva n'empêcheront d'ailleurs pas le jeune hongrois de la suivre plus tard en Bretagne. Des deux côtés : rejet et attirance.

On comprend bien vite que ce jeune homme, aussi fier que cérébral, se cherche lui-même dans la grande ville étrangère, décor de sensations et d'impressions nouvelles (la fête du 14 juillet, les rencontres inopinées), ville dépouillée de tout attribut touristique (ce pourrait être Vienne, Londres...) et lieu d'une introspection identitaire qui le rend également un peu étranger à lui-même : ses racines lui paraissent soudain incertaines et bien floues (on le prend même pour un Turc). D'où vient-il ? Où doit-il construire sa vie : à Gyarmat, à Budapest, ici ? Une lettre jamais envoyée à sa famille symbolise cet état de "stand-by". L'écriture est élégante et soignée et le récit a des accents fortement autobiographiques, très construit, trop peut-être, dans un style qui mêle l'ironie à la mélancolie et à la gravité. On retrouve l'ambiance cosmopolite du Paris de l'Entre-deux-guerres dans le quartier des artistes de Montparnasse au Dôme en particulier qu'il se plait à fréquenter le ramenant peut-être lui le Hongrois, pétri de culture allemande, au meilleur de cet esprit mitteleuropa que le traité de Versailles vient de bel et bien enterrer. Et seul finalement son passeport de citoyen du "Dôme" lui paraît acceptable. Quatre mois s'écoulent ainsi.

La deuxième partie est composée de trois chapitres dont le premier compte à lui seul deux cents pages plus personnelles sous forme de souvenirs : de retour à Paris, le jeune homme écrit et raconte un séjour de deux mois en Bretagne où il a suivi Eva qui a laissé tomber Emile. Mais l'histoire avec Eva a brusquement tourné court car celle-ci l'a quitté à son tour. Cette partie consacre en l'amplifiant, par la mise en abyme du récit retrospectif introduit dans le roman, la thématique identitaire première soulevée lors de son arrivée à Paris. Etranger il l'a été encore en Bretagne : un peu moins peut-être mais d'une autre manière qu'à Paris. Et il note avec toujours autant de distance et d'ironie que les étrangers, Anglais pour la plupart, en Bretagne, étaient des boucs-émissaires comme d'autres l'étaient à Paris (quand la forêt a brûlé on l'a expliqué par le fait d'avoir retrouvé des mégots anglais !). Mais ce qui frappe surtout dans son aventure hasardeuse avec Eva relatée rétrospectivement c'est l'incapacité grandissante de ces deux êtres à se trouver, chacun creusant un peu plus le fossé qui les rend doublement et définitivement étrangers l'un à l'autre. Ce déplacement du thème idenditaire sur le terrain de l'intimité amoureuse loin d'apporter une tonalité plus légère au roman en assombrit l'issue, toute relation semblant en définitive vouée à l'échec ou à l'étiolement chez ce jeune homme en transit que l'appel du "Dôme" rattrape à la fin dans une conclusion rapide et somme toute attendue.

Une lecture troublante que j'ai beaucoup aimée pour ce rapport à "l'étranger" triplement décliné et finement décrypté. Il est toujours salutaire de se voir dans le regard d'un autre même si le portrait du français dressé ici véhicule des clichés de buveur d'apéritifs variés et d'incorrigible mangeur d'ail dans lesquels on n'est pas obligé de se reconnaître.
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