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Citations sur Cœur tambour (30)

EXTRAITS DE KITAMI :
Alors petit, tu veux devenir tambouyé ? Tu ne veux pas plutôt apprendre un vrai métier, un métier de blancs ? Tu veux chevaucher le tambour, sais-tu jusqu’où il te mènera ? Eh bien soit, je vais t’apprendre la mauvaise vie. Si tu en es capable, je vais faire de toi un vrai tambouyé. J’espère que le tambour aura pitié de toi et qu’il te donnera à manger. […] Quand tu auras ton tambour à toi, bien à toi, […], n’oublie pas de lui parler, de la cajoler, de la caresser comme si c’était une belle fille, alors il te chuchotera des secrets que tu fredonneras sans que personne ne les comprenne. Mais n’oublie pas de donner à boire à ton tambour, tu partageras ton rhum avec lui avant de le battre, fais couler ton rhum sur sa peau. N’oublie jamais, tu n’auras pas d’autre compagne que ton tambour : sois lui fidèle.

[…]

Il se disait tantôt rwandais tantôt ougandais et montrait son passeport ougandais en riant : « avec celui-là, c’est plus sûr, mais sans papiers je suis aussi bien rwandais ; ce n’est pas moi qui ai décidé d’être rwandais ou ougandais, ça c’est passé il y a longtemps, je ne sais où en Europe, des Blancs à gros ventres et à moustache avec leurs gros cigares, à la fin d’un grand repas, des diplomates ont dit au maître d’hôtel qui était un Noir : “Firmin, apporte le dessert, il y a un bon gâteau qui s’appelle Afrique, on s’est mis à table pour se le partager, chacun en aura sa part, une grosse pour les Anglais, une autre pour les Français, et les Allemands et les Portugais auront la leur, on ne les oublie pas, et laissez-en pour Léopold qui en veut aussi“. Alors, ils ont envoyé en Afrique des commissaires, des officiers, des géographes, des topographes, des géomètres, des arpenteurs avec leurs askaris et les tirailleurs et les King’s Afrikan Rifles et beaucoup de Noirs pour porter sur la tête le matériel et les poteaux frontières. Et ils ont planté les poteaux où ils ont voulu […]. Alors Nyabingui a dit : “ les poteaux des Blancs feront votre malheur, arrachez vite ces poteaux des Blancs“. Nyabingui, c’est un esprit, mais c’est aussi une femme…
Mon père est resté du côté anglais, ses frères sont restés du côté allemand qui est devenu belge à cause de la guerre que se sont faite les Blancs entre eux. Mes petits cousins n’ont pas eu de chance : c’est la machette des Rwandais qui les a tués. Il y en a qui se sont échappés en Ouganda, mais ils ne sont pas ougandais, ce sont des réfugiés. Moi, je suis ougandais, j’ai un passeport ougandais, pourtant je suis allé à l’école sur la colline en face, qui était au Rwanda, et quand je repense à tous mes petits cousins qui étaient en classe avec moi, je deviens rwandais».

[…]

L’Éthiopie, s’emportait-elle, c’est là qu’on voudrait déporter les Tutsis. Vous autres, à la Jamaïque, vous voulez être éthiopiens, nous autres les Tutsis, les blancs ont décidé pour nous que nous étions éthiopiens, certains les ont crus et ce fut pour notre malheur : parce qu’on nous a déclarés éthiopiens, nos frères, des Rwandais comme nous, nous ont massacrés, et les rescapés errent de par le monde, bannis de leur seule patrie. Mon chant est celui de l’exil. Ne le comprenez-vous pas ? Je sais qu’un jour nous reviendrons chez nous, au Rwanda, mais je ne sais pas pourquoi ce jour qui devrait être un jour de joie, ce jour me remplit de terreur et je dis en tremblant : que ce jour vienne, mais que je ne le voie pas.
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Je me doutais bien que l’étagère de la salle de réunion n’était pas une vraie bibliothèque, aussi quand, à la suite du père Martin, je pénétrai dans l’ancienne, j’eus l’impression intimidante et exaltante à la fois d’être introduite dans un lieu sacré, un sanctuaire, le saint des saints réservé à de rares initiés. Je m’y suis sentie toute petite. Je levais respectueusement les yeux jusqu’au haut des rayonnages qui couvraient les murs et tapissaient la pièce jusqu’au plafond. Je retenais ma respiration. C’étaient de vrais livres qui se tenaient bien droits les uns contre les autres, comme des militaires le jour de la fête nationale, les uns dans leur bel uniforme de cuir, certains aussi gros que le missel dans lequel le prêtre lisait, pour ne pas se tromper d’une syllabe, les prières de la messe, les autres, comme de simples soldats dans leur modeste tenue de carton bleu ou noir.
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Ce n’est pas moi qui ai décidé d’être rwandais ou ougandais, ça s’est passé il y a longtemps, je ne sais où en Europe, des blancs à gros ventre et à moustache avec leur gros cigares, à la fin d’un grand repas, des diplomates ont dit au maitre d’hôtel qui était un Noir :’’Firmin, apporte le dessert, il y a un bon gâteau qui s’appelle Afrique, on s’est mis à table pour se le partager, chacun en aura sa part, une grosse pour les Anglais, une autre pour les Français, et les Allemands et les Portugais auront la leur, on ne les oublie pas, et laissez-en pour Léopold qui en veut aussi’’. Alors ils ont envoyé en Afrique des commissaires, des officiers, des topographes, des géomètres, des arpenteurs avec leurs askaris et les tirailleurs et les King’s African Rifles, et beaucoup de Noir pour porter sur la tête le matériel des et les poteaux frontières. ET ils ont planté les poteaux où ils ont voulu : à gauche, c’est pour les Allemands, à droite c’est pour les Anglais, et mon grand-père a dit : ‘’Mes vaches, en face sur la colline, c’est chez les Allemands, ici, dans mon enclos, je suis chez les Anglais’’
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Et ce choix de l'exil, je l'acceptais parce que j'avais le sentiment que c'était Nyabingui qui m'y conduirait, qu'elle avait tissé mon destin, destin que je ne discernais pas encore mais auquel je ne pourrais échapper et que j'acceptais comme une fatalité sereine.
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EXTRAITS DE NYABINGUI :
Prisca, tu vois ces papiers, ils te concernent, nous savons tout sur toi. Nous savons, par exemple, que tu es intelligente, trop intelligente même, la République du peuple majoritaire n’a pas besoin de Tutsis femmes savantes. Mais la République peut aussi avoir besoin de quelques unes d’entre vous, de celles qui ont échappé à notre vigilance, qui, comme toi, ont fait des études qu’elles n’auraient pas dû faire ; toi, tu les as faites à cause d’un missionnaire blanc, et nous nous doutons bien de quelle manière tu as su l’envoûter. Vous, les filles tutsis, vous êtes les plus redoutables, vous savez toujours séduire pour servir votre cause, vous plaisez aux Blancs et vous en profitez pour dénigrer le peuple majoritaire et dresser les Blancs contre nous. Alors pourquoi ne seriez-vous pas aussi utiles à notre République ? Il est bon pour nos diplomates d’avoir des femmes comme vous et qui charment les Blancs. Alors tu vas employer tes charmes vénéneux doublés de ton intelligence à notre service. On va te donner pour femme à l’un des nôtres, tu seras sa charmante épouse et tu lui feras des enfants hutus, et toi, bien que nous sachions qu’au fond de toi-même tu resteras toujours un cafard, un inyenzi, tu vas quand même devenir une Hutu, tu sais bien qu’une fois mariée une femme perd sa race, son clan, qu’elle prend la race, le clan de son mari. Nous allons te trouver un bon mari, il y en a encore de notre côté qui sont fiers d’épouser une Tutsi, on va les contenter, on ne pourra pas dire que nous sommes racistes…

[…]

- Voilà ce que j’ai à dire : depuis très longtemps, chez nous, il y a un tambour, il ne nous appartient pas, notre lignage en a reçu la garde. […]. Je ne suis pas le maître du tambour. J’en suis son gardien jusqu’à ce que revienne celle qui nous l’a confié. Nous l’avons attendue, elle n’est pas revenue.. Mais à présent, au Rwanda, on n’aime plus les tambours. Et, peut-être que, si on le découvre, les militaires viendront le saisir et peut-être le détruire, et moi et ma famille avec. […] Mais si on détruit le tambour, cela portera malheur à notre lignage, nous serons considérés comme des rebelles, on nous jettera en prison bien que nous soyons des Hutus. […] Alors, nous sommes prêts à vous confier notre tambour, vous les « Américains », vous aimez les tambours, vous protègerez, vous soignerez le nôtre […].
- Mais qui vous a confié ce tambour ?
- […] Ce tambour, c’était celui d’une reine… de l’esprit d’une reine.
- Je crois que tu veux parler de Nyabingui.
- Ne prononce pas ce nom, malheureuse, je ne l’ai pas entendu.
- Et moi, ne sais-tu pas qui je suis ? […]
- Toi… oui, peut-être… j’ai entendu parler d’une jeune fille… ce serait toi ?
- C’est toi qui l’as dit.
- Si tu es celle que je crois, alors le tambour t’appartient. C’est ce que nos pères avaient prédit : un jour la reine reviendrait parmi nous. […]
- oui, grand-père, le tambour d’une reine a un cœur. Nous irons voir le tambour, s’il me reconnaît pour sa reine, je l’emporterai et il sera sauvé.
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Un père est toujours le plus grand.
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Certains dirigeants hutu considéraient les jeunes filles tutsi comme des prises de guerre à la disposition des vainqueurs de la « révolution sociale ». Ils allaient faire leur marché dans les familles tutsi qu’on soumettait à toutes sortes de menaces si elles ne leur livraient pas les filles convoitées. C’était encore curieusement une source de prestige pour un notable hutu que d’épouser une Tutsi : on pouvait l’exhiber comme un trophée
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À partir de la troisième, toutes les élèves se déclaraient amoureuses d’un de leurs professeurs européens. Les tactiques de séduction étaient naïves mais les proies faciles. Il s’agissait, dans la plupart des cas, de jeunes coopérants français qui, à ce qu’on disait, étaient venus faire leur service militaire en Afrique. On ne comprenait pas bien ce qu’il y avait de militaire à enseigner le français ou les maths mais ces jeunes gens, un peu étonnés de leur succès, n’entendaient aucunement résister aux avances non équivoques dont ils étaient les cibles. La compétition était rude entre les filles les plus hardies, et que l’une d’elles l’emporte sur toutes ses rivales suscitait à la fois l’admiration et la rancune tenace des déçues. Dissimulée sous des démonstrations intempestives d’amitié, la violence de la jalousie allait parfois jusqu’à des tentatives d’envoûtement auxquelles on me demandait discrètement de procéder.
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Papa me paraissait très grand, peut-être pas le plus grand de notre colline, mais une fille respectueuse ne se risque pas à comparer la taille de son père à celle des autres hommes. Un père est toujours le plus grand. Il paraissait maigre mais il était vigoureux. C’était un marcheur infatigable. Il avait les jambes bien droites, sans le vilain renflement du mollet que les Rwandais jugent disgracieux. Il avait parcouru en tous sens le Rwanda, son bâton de berger posé en travers de ses épaules.
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Les premières règles d’une adolescente sont toujours un moment périlleux, non seulement pour elle-même, mais pour toute sa famille. Le sang menstruel fait en effet l’objet de toutes les convoitises de ceux qui cherchent à vous nuire : vos ennemis de toujours, vos voisins jaloux, les pervers qui font le mal pour le mal, les empoisonneurs de profession, les sorciers – et surtout les sorcières – tenteront de s’emparer de la moindre trace pour confectionner leurs philtres maléfiques qui rendront stérile à jamais celle qui est devenue femme, et ses sœurs présentes et à venir répandront la peste sur votre troupeau, feront peu à peu dépérir vos fils, amoncelleront sur vous et les vôtres tous les malheurs que vous n’auriez pu imaginer.
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