Citations sur Kibogo est monté au ciel (9)
"Les fleurs, c'est pour la guerre. Nous autres, les rwandais, on nous a dit : on doit faire des efforts pour la guerre, la guerre des Belges, la guerre des Anglais, la guerre des Allemands, la guerre de tous les Blancs. Ces fleurs, c'est des médicaments pour les soldats qui font la guerre. Ca tue les moustiques qui les attaquent, qui donnent la malaria. Il faut beaucoup de fleurs. L'administrateur l'a dit au chef, le chef me l'a dit : c'est pour ça qu'il me faut vos enfants, a dit le colon blanc, c'est ce qu'il faut pour cueillir les petites fleurs."
"Vos contes pour les veillées, disaient les pères, nous les conservons pour vos enfants et surtout pour vos petits-enfants quand ils seront évolués, civilisés, lettrés. Alors nous leur expliquerons ce que vos histoires voulaient vraiment dire et que vous étiez incapables de comprendre parce qu'elles annonçaient notre venue pour vous révéler le vrai Dieu. Eux, vos petits-enfants, ils seront capables de le les lire sans y croire. Vous, vous êtes à peine sortis des chaînes de Satan, vous croyez encore plus qu'à moitié aux sornettes des sorciers. Il vous faut d'abord oublier tout ça et écouter seulement l'histoire du vrai Dieu. Pour vous qu'il n'y ait plus que cette histoire !"
Et parfois, une petite fille, oubliée au pied de la conteuse et qui avait refusé de s'endormir comme les autres, engrangeait dans sa mémoire, sans bien les comprendre, les mots enchantés du conte.
-Des histoires, il en faut pour toutes les oreilles. Et si les padri m'en demandaient une assaisonnée à leur goût, je leur en servirais tout autant. Ne te fâche pas. Et d'ailleurs, tu ne peux rien contre mes paroles. Elles ne s'envoleront pas comme celles de contes. Elles ne se dissiperont pas dans la mémoire étourdie des enfants. Elles sont déjà loin. Elles traverseront les océans. Elles resteront écrites dans le livre du professeur comme les paroles de Jésus dans ton Evangile.
-Vous savez qui est Akayézu ? C'est un ancien séminariste. Il était devenu fou. C'est pour ça qu'on l'avait renvoyé du grand séminaire. On ne sait pas s'il se prenait pour Yézu à cause de con nom ou pour Kibogo à cause des légendes que racontait sa mère. Il y avait un tas d'histoires qui couraient sur lui. C'était comme les contes de ma grand-mère. Il distribuait du pain à tous les enfants : avec seulement deux boules, il y en avait pour tout le monde. On prétendait qu'il avait ressuscité un bébé, maintenant c'est une petite fille qui fait la guérisseuse. Il avait des apôtres comme Yézu mais ses apôtres, c'étaientd es femmes, et même des femmes libres qui étaient revenues de Kigali avec leurs métis et leurs maladies.
Le catéchiste se risqua à intervenir:
"Mais Maria, la statue, vous ne pouvez pas y toucher, c'est monseigneur lui-même qui l'a donnée à notre colline, on ne peut pas y toucher, ce serait péché, péché mortel, et cela nous porterait certainement un grand malheur. Non, non, vous ne pouvez pas...
-Allons, dit le professeur, on va juste déplacer votre statue; la Sainte Vierge, elle ne va quand même pas entraver la science. On se croirait en Vendée ou en Bretagne", ajouta le professeur à l'un de ses assistants.
Vos contes pour les veillées, disaient les pères, nous les conservons pour vos enfants et surtout pour vos petits-enfants quand ils seront évolués, civilisés, lettrés. Alors nous leur expliquerons ce que vos histoires voulaient vraiment dire et que vous étiez incapables de comprendre parce qu’elles annonçaient notre venue pour vous révéler le vrai Dieu.
De toute façon, sortant du petit ou du grand séminaire, vous apparteniez, sans que personne puisse vous le contester, à la classe supérieure des "évolués".
Vous n'avez plus de mémoire, les esprits des ancêtres vous ont abandonnés. Et pourtant, il y a sur votre colline une femme qui pourrait peut-être parler aux nuages, convaincre la pluie d'avoir pitié de vous.