AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de enjie77



Ouvrir « Séfarade », c'est entrer dans un royaume où les frontières du temps sont abolies, c'est entendre la voix de ces ombres qui peuplent notre passé, c'est écouter le témoignage des oubliés, des bannis, des exilés qu'ils soient anonymes ou familiers comme Primo Levi, Milena Jesenska, Franz Kafka, Margarete Beuber-Neumann ou Willi Munzenberg, Jean Amery.

« Une sorte d'encyclopédie de l'exil » pour reprendre les mots de l'auteur dans le sens qu'il accorde à ce titre « Séfarade ».

C'est un recueil de dix sept chapitres qui n'est aucunement un recueil de nouvelles. le terme « Séfarade » s'entend, dans ce livre, non comme l'histoire des juifs originaires de la péninsule ibérique, chassés par Isabelle la Catholique mais plutôt comme le terme qui renvoie aux thèmes de l'exil partant du principe qu'il n'est pas nécessaire d'être juif pour faire partie de la grande famille des exclus. Il dit bien « chacun peut devenir le juif d'un autre ».

Seul, le dernier chapitre s'intitule « Séfarade », un chapitre émouvant sur le portrait d'une fillette de Vélazquez admiré par l'auteur à New York dans un musée, loin des lumières de la ville, le Hispanic Society of America.

Sur le thème du bannissement, du déracinement, parfois du voyage aussi, dix sept chapitres qui entrent en résonnance avec la Grande et la petite histoire où se mêle la fiction.

Machine à remonter le temps, mémoire de tous les exilés, à ceux qui ont fuit, à ceux qui sont restés, à tous les coupables sous aucun motif. Muñoz Molina les ressuscite à travers des témoignages, des rencontres comme des écrits, l'auteur donne la parole à toutes ces voix qui résonnent dans le silence de l'Histoire, tous ces destins brisés par les régimes totalitaires et le XXème siècle a été fécond.
Il dénonce les crimes du stalinisme, du nazisme et cette guerre espagnole qui reste un traumatisme empoisonnant l'inconscient collectif de tout un peuple.

A travers tous ces messages, ces confidences venus de la nuit des temps, Muñoz Molina évoque le destin de ces femmes de républicains espagnols pendant et après la guerre civile comme le sort de tous ceux qui ont connu l'exil forcé comme l'exil intérieur, tout aussi destructeur. le Passé ressurgit. Comment peut-on oublier, nous qui sommes les héritiers de ce passé, vivre comme si rien ne s'était passé.

Une réflexion amène une nouvelle réflexion, incessant aller-retour entre passé et présent. Des personnes sortent ainsi de l'oubli, d'autres inconnus se racontent. C'est ainsi que j'ai appris, par la voix de la fille d'un républicain ce que sa mère, épouse d'un rouge, avait subi à la fin de la guerre civile. Elle avait été tondue : cette pratique de la tonte des femmes était usuelle chez les fascistes et fut, hélas, reprise en France par les Compagnons de la Libération.

L'auteur articule les réalités d'hier et celles d'aujourd'hui, jeu de miroir entre passé et présent, connexion entre diverses situations à travers le temps, tout est relié, comme lorsque vous cuisinez une tarte et qu'à travers ce geste, c'est votre grand-mère qui cuisine ou lorsque vous vous baignez sur les plages du Débarquement, situation façon Palimpseste. Sa narratrice ou son narrateur est identifiable parfois par le « je » et d'autre fois par « il ou elle » mais la lecture est aisée et tous ces récits ont pour vocation d'engendrer l'empathie du lecteur pour ne pas oublier !


Il m'est impossible de rester insensible à la mélodie que dégage l'écriture d'Antonio Muñoz Molina. IL possède un style d'écriture hypnotique qui n'appartient qu'à lui avec ses longues phrases simplement séparées de temps en temps par une virgule, dans une lente énumération, comme pour apporter des précisions supplémentaires ou mieux, pour nous faire épouser son propos. Il s'en dégage une grande humanité et une telle profondeur de réflexion qu'à chaque ligne, l'émotion, la révolte et la grandeur d'âme de cet auteur émergent.

Antonio Muñoz Molina est, à mes yeux, un très grand auteur dont j'admire l'écriture et ce livre est magnifique ! Trouver les mots pour rédiger cette chronique sans trahir le livre fut difficile tant la profondeur de réflexion de Molina est puissante et troublante.






Commenter  J’apprécie          8321



Ont apprécié cette critique (79)voir plus




{* *}