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Critique de Lamifranz


Vous n'êtes pas sans savoir, mes amis, que Musset (Alfred de son prénom, il vous envoie le bonjour) avait un gros, mais alors très gros problème avec le théâtre : Après le four mémorable de sa première pièce « La nuit vénitienne » en décembre 1830, il était vexé comme un pou (le naturaliste qui a trouvé que les poux se vexaient facilement avait dû tomber sur la tête !). Bref, Musset se jura que ses pièces de théâtre seraient écrites, imprimées et éditées… mais pas jouées. Sous le titre générique de « Spectacle dans un fauteuil », il édita donc une série de pièces, parfois graves (drames romantiques : « Andrea del Sarto » (1833), « Lorenzaccio » (1834)…), parfois graves et légères à la fois (comédies : « Les Caprices de Marianne » (1833), « Fantasio » (1834), « le Chandelier » (1835), « Un Caprice » (1837)… et Proverbes : « On ne badine pas avec l'amour » (1834), « Il ne faut jurer de rien » (1836), « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée » (1845), « On ne saurait penser à tout » (1849)…) le Proverbe est un genre théâtral mineur qui consiste en une comédie légère illustrant un proverbe ou un adage populaire. Fort en vogue au XVIIIème siècle avec des auteurs comme Collé et Carmontelle, il renaît au XIXème avec Musset qui, dès 1834, porte le genre à la perfection.
« On ne badine pas avec l'amour » est le premier (et sans doute le meilleur) de ces Proverbes. Mais il ne faut pas s'y tromper : si la pièce dans son allure très XVIIIème siècle, a des airs de Marivaux, si la référence au proverbe « on ne badine pas avec l'amour » est amplement démontrée et semble rattacher la pièce au genre, il n'en reste pas moins que Musset nous livre ici un véritable drame :
Perdican et Camille s'aiment depuis toujours, mais Camille, fortement imprégnée de son éducation religieuse, envisage de se retirer au couvent. Elle joue l'insensibilité et écrit à son amie Louise qu'elle a désespéré Perdican (ce qui est vrai). Mais Perdican a eu connaissance de la lettre, et de dépit, il séduit la jeune Rosette, histoire de la rendre jalouse (Camille, pas Rosette). S'ensuit un jeu de badinage amoureux, qui pourrait n'être que marivaudage, mais Rosette prend pour argent comptant les déclarations de Perdican. Perdican et Camille, emberlificotés dans leurs mensonges se voient pris à leur propre jeu, et n'ont pas d'autre issue que de se déclarer mutuellement leur amour. Ça pourrait faire une super happy end, mais Rosette a tout entendu et meurt. C'est le coup de théâtre final : « Elle est morte. Adieu Perdican ».
Musset est l'homme des contrastes : comme on l'a vu dans Lorenzaccio jouer du masque de la débauche pour cacher un dessein à la fois politique et personnel (où il perdra sur les deux tableaux), ici il affiche le masque de la légèreté et du marivaudage dont on ne mesure pas las conséquences, pour cacher un amour réel qu'il suffisait de dire au grand jour. Et c'est une tierce personne (la malheureuse Rosette) qui en fait les frais, condamnant ainsi les deux autres. Moralité : On ne badine pas avec l'amour !
L'avantage d'écrire la pièce sans avoir à se préoccuper des didascalies, des problèmes de mise en scène, etc. c'est que l'auteur fait tout passer, émotions feintes et émotions réelles, par le dialogue, à la fois précieux et incisif, émouvant et cruel. Perdican et Camille sont souvent décourageants, on se dit « mais qu'est-ce qu'ils fichent ces deux oiseaux, ils ne peuvent pas se dire les choses en face ? » On les plaint aussi parce que la cruauté qu'ils affichent, ils ne s'en rendent pas compte, ou bien ils croient que « c'est de la fausse cruauté, pour faire bisquer l'autre ». Ce qu'ils ne comprennent pas c'est que si eux trichent, il y en a une qui ne triche pas, et qui va en mourir.
Pièce finalement sombre, finement jouée sur le plan psychologique, ç'aurait pu être une tragédie noire, s'il n'y avait eu ce ton très XVIIIème, masque, poudre et perruque (au propre comme au figuré) et aussi en contrepoint ces personnages pittoresques qui apportent un peu de gaieté : le Baron, complètement dépassé, et les deux « fantoches » Maître Blazius et dame Pluche.
Interprétation (hautement) conseillée : une captation de la Comédie-Française en 1978 : réalisation de Roger Kahane, mise en scène de Simon Eine, avec Francis Huster (Perdican), Béatrice Agenin (Camille), Anne Petit-Lagrange (Rosette), Bernard Dhéran (le baron)… A la boutique de la Comédie-Française, ou sur internet…

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