La mémoire et l'imagination sont toutes les deux une négation du temps.
Tout ce que l'esprit perçoit, il le fait avec l'aide de l'imagination créatrice, cette goutte d'eau sur la lame de verre qui donne netteté et relief à l'organisme observé.
Le présent n'est que la crête du passé et l'avenir n'existe pas.
Dans ce même esprit solennel, certains lépidoptéristes hargneux ont critiqué mes travaux de classification des papillons, m'accusant de m'intéresser davantage aux sous-espèces et aux sous-genres qu'aux genres et aux familles. Une telle attitude est affaire de tempérament, je suppose. Le penseur de «moyenne volée» ou le philistin supérieur ne peuvent se défaire de ce sentiment sournois qui veut qu'un livre, pour être grand, doit brasser de grandes idées. Oh, je connais le type, le type lugubre. Il aime un bon conte épicé de considérations sociales; il aime reconnaître ses propres pensées et ses propres angoisses dans celles de l'écrivain; il veut qu'au moins un des personnages soit la doublure de l'auteur. S'il est américain, il a une goutte de sang marxiste, et s'il est britannique il a une conscience de classe aiguë et risible; il trouve tellement plus facile d'écrire sur des idées que sur des mots; il ne comprend pas que s'il ne trouve pas d'idées générales chez un écrivain, c'est que peut-être les idées dudit écrivain ne sont pas encore devenues générales.
Je suis totalement indifférent à l'aspect social de telle ou telle activité collective. Historiquement, en matière de pornographie, les Anciens ont établi un record qui n'est pas près d'être égalé. Artistiquement, plus les machines à écrire plongent dans la fange, plus leurs produits deviennent ordinaires et conventionnels. J'ai horreur de la brutalité pratiquée par toutes les sortes de brutes, les blanches ou les noires, les brunes ou les rouges. Je méprise également les rouges coquins et les roses imbéciles.