— Si tu étais assassiné, j’envisagerais de me venger… Je sais bien que c’est mal, et je ne suis pas spécialement pour la peine de mort. Mais… si la personne qu’on aime est tuée, il me semble inévitable de commencer par vouloir se venger. Est-ce bien ou mal, la question n’est plus là. Parce que si je perdais celui que j’aime, ma vie serait dévastée, je deviendrais sourde à tous les arguments.
- C’est bien vous qui les avez tuées… n’est-ce pas ?
Malgré mon affirmation, l’homme reste de marbre. Dans son survêtement noir, il se tient avachi, comme vautré sur sa chaise. Sans la plaque de plexiglas transparent entre nous, ressentirais-je de la peur ? Il a les joues creuses, les yeux légèrement enfoncés dans les orbites.
- Cela m’intrigue depuis le début… Pourquoi, après avoir tué Akiko… avez-vous…
- Pas si vite.
L’homme intervient. Son visage est toujours vide d’expression. Il ne semble ni triste, ni en colère. Il est simplement fatigué. Voilà longtemps qu’il est épuisé.
- Et si, au contraire, c’était moi qui t’interrogeais ?
- Mais ça, vous feriez mieux de ne pas l'écrire dans votre livre. Parce que ça déplairait à beaucoup de gens... Vous ne croyez pas ? Se contenter d'effleurer la face sombre de l'humain, la déformer comme dans les mangas, écrire ce qui est acceptable pour le plus grand nombre... Cela vous va comme un gant.
Bien sûr, tu te faisais vraiment du souci pour moi, mais toi, ma soeur qui était encore une enfant, le processus de la photographie qui reproduisait fidèlement ta silhouette sur du papier t'émerveillait, et peut-être imaginais-tu possible de t'y transporter. Parce qu'ainsi, tu aurais pu te réfugier en lieu sûr.
- Pour commencer, entrez, je vous en prie. Puisque aujourd'hui je ne travaille pas.
La femme ouvre la porte et me fait entrer. Je suis le couloir, il débouche sur une vaste pièce couverte de tatamis qui me rappelle quelque chose. J'ai le souffle coupé. Une foule de poupées, accoutrées de toutes sortes de vêtements. Qui paraissent vraiment vivantes. Ou plutôt, qui ne semblent pas du tout mortes, bien qu'on sache pertinemment qu'elles ne sont pas vivantes. Alors que mon cerveau voit en elles des êtres humains, c'est comme si quelque chose en moi sentait qu'elles n'ont rien d'humain. Une multitude de poupées, leurs yeux expressifs tournés dans toutes les directions. Je croise le regard de l'une d'entre elles. Mon coeur bat un peu plus vite. Il suffit de légèrement modifier l'angle sous lequel on les examine pour que chacune arbore une expression totalement différente.
- Ces derniers temps, impossible d'en fabriquer pour mon plaisir. J'ai trop de travail.