L'Autre et moi

"L'AUTRE ET MOI" / "LE ÇA ET LE MOI "

Dans la topique freudienne du ça, du moi et du surmoi, qui marqua la révolution opérée sur la théorie psychanalytique, Freud disait du "ça" que “c'est la partie la plus obscure, la plus impénétrable de notre personnalité. [Lieu de] Chaos, marmite pleine d'émotions bouillonnantes. Il s'emplit d'énergie, à partir des pulsions, mais sans témoigner d'aucune organisation, d'aucune volonté générale ; il tend seulement à satisfaire les besoins pulsionnels, en se conformant au principe de plaisir. le ça ne connaît et ne supporte pas la contradiction. On y trouve aucun signe d'écoulement du temps ”. Selon lui, le ça est en quelque sorte la partie refoulée du moi, celle inconsciente de l'homme, "la calebasse" qui porte les instincts, les désirs inavoués. C'est cette voix qui chuchote dans l'oreille de l'humain et qui réside dans son fort intérieur ses pensées les plus enfouies. Il arrive qu'on suit, qu'on veuille suivre ou qu'on fuit et rejette ses conseils, consignes, suggestions ou propos.
C'est avec ce "ça" que Ismaïla NIANG semble vouloir nous emporter dans sa ballade à travers les rues de Gouye Mourid de Rufisque dans son dernier ouvrage "L'AUTRE ET MOI".
En fait, à lire le titre de l'ouvrage, on pourrait être tenté de penser à une dualité externe entre le "moi" et un "autre" individu ; ou même pour les plus tendres, les coeurs doux, à une relation charnelle entre "l'autre" et le "moi". Mais que nenni.
En fait, il s'agit de cette perpétuelle ventriloquie entre le "moi" et le "ça" qui vit en chacun de nous ; qu'on l'accepte dans notre vie ou qu'on essaie de le renie (parce qu'on ne peut s'en débarrasser tant qu'on vit). Comme d'ailleurs Massamba (personnage principal de l'ouvrage) nous le rappelle "...j'ai eu du mal à cerner ce ventriloque qui sourdine et perturbe mon présent...Je cherche cette voix dans les méandres de mes souvenirs où elle est coincée, même si elle me fait peur parfois avec ses caprices...) P.47
Sacré "ça", il me rappelle notre leçon en philosophie, en classe de terminale au Lycée Malick SY de Thiès, portant sur "Conscience, Inconscience" avec Monsieur Ndiaye phylo. Sacré lui également, à chaque fois après ses propos, à la fois choquants et marrants, il répliquait toujours devant l'étonnement des élèves : "vous n'aimez que ça."
Pour illustrer la pensée refoulée (le ça), il nous disait, sans gêne pour lui, mais faisant éclater la classe de stupéfaction : "même moi ça m'arrivait, de retour à la maison, tard dans la soirée après une virée nocturne, de passer devant la chambre des parents et de penser qu'il se passe sûrement quelque chose là-dans entre les vieux à cette heure. Mais je m'empressais de rejeter cette pensée. Voilà c'est ça qu'on appelle, la pensée refoulée ".
Bref, rembobinons, Massamba est natif de Rufisque où il a fait toutes ses humanités. Ami de son père qui fut un employé de l'usine Bata qui se trouvée dans la même ville spécialisée, à son temps, à la confection de chaussures. (Les nouvelles générations « ndeysaan » ne connaissent "dallu Bata")
Amoureux des lettres avec un désir de devenir écrivain, suivant la prédiction de son institutrice qui prend le contre-pied de son amour de père qui lui, voulait qu'il devienne médecin, il se voit malmener par cette voix intérieure qui, coûte que coûte, veut saper ses envies, ses ardeurs.
Assis dans ce bus, Massamba est tiraillé entre deux voyages. ✓Ce voyage, qui doit le mener à une cérémonie d'hommage "dédiée à certaines personnalités de Rufisque".
Voyage où il nous peint la vieille ville de Rufisque, son histoire, ses dérives et déboires politiques, son présent avec les problèmes liés à la libre et facile circulation des biens et des personnes, les tempéraments de certains passagers et de certains conducteurs qui ont des notions divergentes du temps. Sans oublier les hauts dignitaires tel que Maurice Gueye, symbole de l'inexistence des "frontières de l'appartenance" et de "la générosité rufisquoise" qui a fait de lui deux fois Maire, le totem Mame "Kumba Lamb". Mais également du chanteur Gorgui Ndiaye à qui il demande : "Chante-nous Ndawrabine, danse typiquement léboue. Électrolyse nos entrailles et galvanise Kumba Lamb, notre génie protecteur ! Que les femmes viennent déployer les tenues traditionnelles pour un Goumbé frénétique, cette belle danse, patrimoine propre aux lébous. Que Rufisque bouge au rythme de sa culture traditionnelle, identité remarquable de cette vieille ville de la communauté léboue." P.51
✓L'autre voyage, celui interne, l'enfouie dans des souvenirs profonds où il revient sur les longues discussions qu'il avait l'habitude de tenir avec son père et qui lui font visiter le monde tonitruant de la littérature. Les louanges, critiques, émerveillements, reconnaissances s'y entrechoquent, s'entremêlent.
Passé d'un enfant de l'école à un enfant de la rue, Massamba vit toujours coincé entre son "moi" et son "ça". Malgré toute leur discorde, son "ça" était très intéressé et intrigué par l'histoire "de l'honneur d'un certain Omar Fall" au point de lui suggérer de demander à son père de la lui raconter en profondeur en lui promettant "la calebasse" au fond du fleuve.

(1ère Partie)

Mandiaye CAMARA alias CamouMC L'Africain
Auteur de "Jeu S'lâme" et "Flo-raison d'une muse errante"
Prix International Immaculée Éditions 2021 catégorie poésie.
Coauteur de 4 anthologies.