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Critique de GuillaumeTM


L'originalité du point de vue de Nietzsche, alors tout jeune professeur de philologie, sur le théâtre grec (tragédie attique) dans cet ouvrage, était tel qu'il essuya pas mal de critiques féroces à son encontre. Sous l'influence revendiquée de Schopenhauer pour le pessimisme et celle de Wagner en ce qui concerne la musique, Nietzsche s'est lancé dans une nouvelle vision de la Grèce antique sous les balises protectrices d'Apollon et de Dionysos. Ces deux pulsions antagonistes : l'apollinien, « l'art du créateur d'images » et le dionysiaque, « l'art non plastique de la musique » qui est aussi celui de la démesure. Ces deux pulsions se retrouvant très souvent en conflit.

C'est donc au théâtre, plus particulièrement au sein du choeur, que celles-ci se manifestent. L'homme soumis à ce spectacle et à ses mythes mis en scène, doit pouvoir se déposséder de lui-même et entrer en communion, que dis-je, en harmonie avec la musique et ne faire plus qu'un par le biais de ces énergies par-delà le bien et le mal. Mais ce n'est pas être simplement spectateur, c'est faire partie intégrante du spectacle, le public et les comédiens formant un tout, un « je » non plus égotiste mais unitaire comme il le dit si bien lui-même dans cet extrait :

« Nous avions en effet toujours pensé que le véritable spectateur, quel qu'il soit, devait rester conscient d'avoir sous les yeux une oeuvre d'art, non une réalité empirique. »

L'art est, ici, un substitut à l'absurdité de la vie et à la souffrance qui lui est immanente. Il est vu comme une consolation au tragique de la vie. le théâtre attique a justement pour fonction de libérer les pulsion l'espace d'un moment dans un cadre bien précis, ce que l'on pourrait communément appeler une catharsis bien que Nietzsche n'aime pas le terme, ce mot étant affilié à Aristote.

On peut déjà apercevoir en filigrane le futur Nietzsche qui s'opposera à la philosophie de Schopenhauer et à sa négation du vouloir dans certains passages comme celui-ci :

« Avec ce choeur, le profond Hellène, possédant un don sans pareil pour la souffrance la plus délicate et la plus rude, se console, lui qui a jeté un regard décidé au coeur du terrible processus d'anéantissement que constitue ce qu'on appelle l'histoire universelle, ainsi que sur la cruauté de la nature, et se trouve exposé au danger d'aspirer ardemment à une négation bouddhiste de la volonté. L'art, ce qui le sauve à son profit – c'est la vie. »

Quand il revient à « La naissance de la tragédie », dans sa préface de 1886, il n'y va pas par quatre chemins pour critiquer la première pierre de son édifice philosophique notamment la lourdeur du style ainsi qu'un sentimentalisme et un trop grand idéalisme dont il se séparera par la suite.

C'est avec l'arrivée d'Euripide que commence le théâtre rationaliste, socratique pourrait-on dire et que par la même occasion survient le déclin de la tragédie grecque et de ses mythes.

« Si la tragédie ancienne en périt, le socratisme esthétique en est donc le principe meurtrier. »

Ce qui m'a le plus surpris dans ce livre, c'est avant tout l'analogie que l'on peut trouver entre d'une part la tragédie grecque, et d'autre part un concert de métal extrême. On y retrouve en effet à peu près les mêmes caractéristiques, ce passage y faisant foi :

« Qu'il n'y avait fondamentalement aucune opposition entre public et choeur : tout, en effet, est uniquement un grand choeur sublime de satyres qui dansent et chantent, ou d'êtres qui se font représenter à travers ces satyres. »

Avant de conclure, je voudrai partager cet extrait sublime qui résume bien le fond de la pensée nietzschéenne quant à la philosophie :

« Le dialogue platonicien était comme un canot sur lequel la poésie ancienne naufragée se réfugia avec tous ses enfants : entassés dans un espace exigu et craintivement soumis au seul et unique pilote, Socrate, ils partaient désormais pour un nouveau monde qui ne pouvait se rassasier de voir l'image fantasmagorique de ce cortège. »

Tout ceci a, pour moi, un fort goût de paganisme.
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