Il ne nous reste aujourd'hui plus aucune espèce de compassion avec l'idée du « libre arbitre » : nous savons trop bien ce que c'est - le tour de force théologique le plus mal famé qu'il y ait, pour rendre l'humanité « responsable » à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l'humanité dépendante des théologiens...
Je ne fais que donner ici la psychologie de cette tendance à vouloir rendre responsable.
Partout où l'on cherche des responsabilités, c'est généralement l'instinct de punir et de juger qui est à l'oeuvre. On a dégagé le devenir de son innocence lorsque l'on ramène un état de fait quelconque à la volonté, à des intentions, à des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement inventée à fin de punir, c'est-à-dire avec l'intention de trouver coupable. Toute l'ancienne psychologie, la psychologie de la volonté n'existe que par le fait que ses inventeurs, les prêtres, chefs de communautés anciennes, voulurent se créer le droit d'infliger une peine - ou plutôt qu'ils voulurent créer ce droit pour Dieu...
Les hommes ont été considérés comme « libres », pour pouvoir être jugés et punis, - pour pouvoir être coupables : par conséquent toute action devait être regardée comme voulue, l'origine de toute action comme se trouvant dans la conscience.
Quand l'anarchiste en tant que porte parole de couches décadentes de la société, exige avec une belle indignation "le Droit", la "Justice", "l'égalité des droits", il n'agit que sous la pression de son inculture, qui ne sait comprendre pourquoi il souffre au fond, et de quoi il est pauvre, c'est à dire de la vie...
C'est l'instinct de causalité qui l'emporte chez lui : s'il se sent mal, il faut que quelqu'un soit en cause...
De même sa généreuse indignation lui fait déjà du bien. C'est pour tous les pauvres diables un vrai plaisir que de pouvoir proférer des injures - cela donne une petite ivresse de puissance. Les plaintes, déjà, et le simple fait de se plaindre, suffisent à donner à la vie assez de charme pour qu'elle soit supportable. Il y a dans toute plainte une subtile dose de vengeance : à ceux qui sont fait autrement, on reproche son propre mal-être, ou, le cas échéant, sa bassesse, comme une injustice, comme s'ils jouissaient d'un privilège illicite.