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Critique de zenzibar


Le problème avec Amélie Nothomb est que le format réduit de ses oeuvres et le magnétisme de son écriture font que le lecteur dévore sans escale chaque livre.

Pourtant chacun mériterait une lecture plus posée tant les pages regorgent de jeux de mots, d'invitations vers une certaine grâce si bienfaisante.

Cet « Antéchrista » en fournit une merveilleuse illustration.

Ce roman c'est l'histoire de Blanche, jeune fille de seize ans solitaire, timide et complexée, sans véritable fondement. Blanche est décalée et n'est pas à l'aise avec les postures à la mode, bruyantes, racoleuses des autres étudiant(e)s. Elle préfère vibrer avec ses livres dans une quiétude intimiste peu vendeuse socialement. Pour autant, elle brule de rompre ce splendide isolement et de se faire des ami(e)s.
Et à l'université où elle suit des études de sciences politiques, cette rencontre improbable avec cette fille de son âge, engagée dans le même cursus, Christa. le premier contact fait chavirer Blanche. Christa la fascine tant celle-ci semble doter de toute les qualités que Blanche aimerait posséder, capter a minima, l'aisance en public, le confort d'un réseau d'amis, la beauté envoutante de cette amie à côtoyer dans l'intimité.
Pour sceller cette amitié, avec l'accord de ses parents, Blanche offre à Christa de partager sa chambre.
Mais le seuil de la chambre à peine franchie, Christa se révèle être une personne égoïste, mythomane, manipulatrice et vénéneuse au point de détourner complétement l‘affection parentale à son seul profit dans une suite d'humiliations stupéfiantes.

Christa devient Antéchrista.

Si le lecteur peine pour la gentille Blanche, il se régale pour ces bouquets de mots qu'AN ne cesse d'offrir. Ces associations de mots si évidentes à la Raymond Devos ou d'un Robert Desnos. Mais aussi d'autres plus symboliques, pleines de sens.
Il y a par exemple ce délicieux passage où Blanche et Antechrista échangent sur leur mot préféré. Pour Blanche c'est le mot « archée » qui s'impose sans hésitation ; ce mot est effectivement une invitation puissante au rêve, il est jaillissement, fulgurance, au sens de portée de l'arc qui ouvre sur l'horizon, « la pure énergie brulée en un instant ».
« Archée » renvoie aussi littéralement en grec ancien à la notion de principe et j'associe ce mot à un autre qui affleure, « archéologie », archaíos « ancien » et lógos « mot, parole, discours », un couple merveilleux. Montaigne, qui vient au secours de Blanche, aurait, me semble t-il, apprécié ce mot.
AN chante la puissance du verbe, du mot écrit dans le livre, plus belle que les triomphes superficiels et faciles de la bêtise à l'université de Blanche. Les oppositions entre le mot dans l'intimité du lecteur et l'ouverture sur l'horizon par le symbole de l'arc. Les opposés apparents qui ne font qu'un.
Car ce roman transcende les fausses apparences, la forte et la faible ne sont pas celles que l'on croit. Malgré l'aliénation subie à petit feu, Blanche ne perd pas sa dignité et en dépit de la violence de la déstabilisation psychologique, elle met à nu la véritable personnalité d'Antéchrista avec la précision d'une autopsie.
Dans cette opposition Blanche/Antechrista, on pense à ces mots du Tao Te King de Lao Tseu

« Rien au monde
N'est aussi mou et fluide que l'eau
Mais pour dissoudre le dur et l'inflexible
Rien ne la surpasse

Le mou triomphe du dur
Le souple triomphe du rigide
Tout le monde sait que cela et vrai
Mais peu savent le mettre en pratique »

Chaque mot est à sa place. Antéchrista est originaire de Malmedy, accessoirement ( ?) ville tristement connue pour le massacre par les SS de prisonniers américains pendant la bataille des Ardennes en un sombre jour de décembre 1944, acte qui avait traumatisé les Etats Unis.
Malmedy, mal-me-dit… des lèvres d'Antechrista versent des mots toxiques en continu
La force de Blanche est telle qu'elle n'aura pas besoin de mots pour terrasser en public Antéchrista.

L'eau, fluide, claire, triomphe de la pierre la plus dure

Magnifique
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