Citations sur Le Cycliste du lundi (13)
Un bon écrivain est toujours plus ou moins le reporter de ce que nous ne savons pas voir de la vie
... un livre inconnu d'un écrivain que l'on admire, c'est toujours un peu l'adolescence retrouvée : ces moments enchantés des années de guerre où, ayant déniché chez un libraire complice tel ouvrage, pour moi encore inédit et désiré, qui me parvenait à travers la pénurie de papier, les oukases du pouvoir et les prix gonflés par un primitif marché noir, j'emportais ma conquête et me hâtais vers la maison, vers les quelques heures d'appétit, de ravissement ou de colère qui, pour la vie, mériteront seules, à mon goût le nom de lecture... p 201
Peu nous importe qui parle, et s'il s'agit de souvenirs ou de fiction : les souvenirs à demi imaginaires sont les plus savoureux.
La critique littéraire a ceci de commun avec la voile ou l'alpinisme qu'il n'est pas nécessaire d'administrer la preuve de sa compétence pour s'y exercer. Il est vrai qu'on y risque guère sa paeu. A peine celle des autres.
Ce n’est pas un roman-fleuve, c’est un roman-fourmilière, ou termitière. Le pullulement qu’on découvre en soulevant une pierre sur les sous-sols ombreux de la vie. A peine une histoire, mais qui fermente, grouille, pue, suinte, prolifère comme une anarchie de cellules, un paquet de serpents ou de larves, les fantasmes d’un cauchemar.
(...) Ce n’est pas d’un stylo qu’il parait avoir usé dans son livre, mais d’une mitrailleuse à images, à souvenirs, à cruautés. Il nous maintient sous son feu cinq cents pages durant, et il semble se moquer de raconter selon les douteuses lois d’un genre.
p 72 (A propos de Lucien Bodard, Monsieur le consul)
Je m'aperçois, et suis le premier à en sourire, rassurez-vous, qu'insensiblement ma chronique a pris le ton d'une "défense de Louis Aragon"... Comme s'il avait besoin de moi, ce persifleur, ce duelliste aux bottes imprévisibles ! Si j'ai glissé à cette facilité, c'est que tel article m'avait exaspéré, et qu'en moi, s'agissant de cet écrivain, l'affection le dispute toujours à la solennité de rigueur
Maintenant il va falloir leur expliquer Drieu. Ils vont tous se jeter dessus. Les petits racoleurs de l'extrême-droite, les hôtesses fatiguées du 16ème arrondissement qui se souviennent de son "charme". Les critiques de gauche qui déjà bégayent leur sévérité (...), des éditeurs soudain pressés de réimprimer et gratter de l'inédit après tout ce silence, les journalistes à la botte de l'actualité qui vont méditer à très haute voix sur le romantisme, les entre-deux-guerres et la jeunesse, sans parler de nous, le dernier carré des fragiles caïds de 50-55, les survivants des premiers amis posthumes de Drieu, auxquels on reconnaîtra au moins le mérite d'avoir désigné ce fantôme avec une certaine insistance voilà dis bonnes années.
C’est le drame de la France d’être toujours au bord de la cassure, de la haine ou de la guerre civile.
J'espère que surnageront, dans cette permanente débâcle autour de moi de papiers jaunis, d'épreuves, de livres malmenés et couverts d'annotations gribouillées, - j'espère que surnageront quelques signes d'amitié ou d'admiration, quelques incitations à lire, puisque c'est à cela, modestement, que se réduit le rôle du "liseur" appointé.
C'est cela, le style : écrire avec son ventre et ses rêves, sans prudence ni pudeur.