A lire les sujets de ses romans,
François Nourissier semblait se nourrir à deux mamelles : la critique de la France bourgeoise et le naufrage de la vieillesse. «
le gardien des ruines » réunit impeccablement ces deux inspirations.
Dans les années soixante Albin Fargeau est médecin dans les beaux quartiers parisiens, époux de l'aristocrate Clémence du Juzy, père de Jérôme et amant de Véra. Tout semble pour le mieux dans une vie bourgeoise bien confortable, seulement Albin s'ennuie, erre dans sa vie, s'agace devant ses patients âgés.
Nourissier déroule ensuite la biographie de cet homme sans qualités, on le découvre velléitaire dès son plus jeune âge, étudiant peu impliqué, médecin militaire mollement prisonnier et amoureux tiède. Fargeau se glisse facilement dans le conformisme bourgeois de sa belle-famille, se laisse porter par la vie, ne vibrant que pour la politique dans laquelle il est, sans surprise, du camp des conservateurs.
Viendront les années quatre-vingt, le temps de la retraite où devenu veuf Albin Fargeau sera pris par la peur du vide et de la déchéance. Se retirant dans le village de Maussade (!) il s'attache à faire revivre une ancienne maison de charité dont il devient, comme de son corps,
le gardien des ruines.
Grand roman classique à la française que pourrait avoir écrit
Balzac,
le gardien des ruines permet à
François Nourissier de s'acharner sur l'esprit bourgeois sa victime préférée. Il le fait dans une langue magnifique, incisive et mordante qui crucifie en quelques mots : « Les de Juzy (..) soutenus qu'ils sont, comme par une bouée, par l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes ». L'époque en prend aussi pour son grade, comme tous les ancêtres, Fargeau/Nourissier n'aime pas son époque et ne se gène pas pour le dire.
Mais le plus percutant du roman est la vision de la vieillesse livrée par l'auteur, il est sans pitié pour les défaillances du corps et de l'esprit. Il ne laisse passer aucun des renoncements qu'impose l'âge. le malheureux Albin, qui plus est médecin, examine en scientifique sa course à l'abime, il ne s'épargne rien pas plus qu'il ne s'apitoie ou ne se leurre. Nourissier est le chantre du muscle affaibli, de la mémoire défaillante et du sexe mou. A vous dégouter de vieillir mais à vous donner envie de lire avec un peu de masochisme.