Quel morceau ! Quel monstre ! Huit cent quarante-cinq pages, trente-deux francs et à peu près autant d'heures de lecture que de francs : on est terrorisé. Il faut aussi confesser que les murmures, la réputation éclair et la vague de publicité qui accompagnent Belle du Seigneur ont de quoi indisposer. On tente pourtant l'aventure. On plonge dans l'énorme histoire : alors le mécanisme joue et l'on est piégé. Des beautés éclatantes, des torrents de mauvais goût : on est emporté par l'un, ébloui par les autres. On sort de là un peu stupéfait, la tête vide - mais soyons francs : le jeu en valait la chandelle.
Il n’y a pas des morts purs et des morts sales : il y a simplement des assassins.
«Ce que fait Blondin avec les mots -- cette fête, cette virtuosité souvent éblouissante -- n’est jamais gratuit. Il a l’habileté fulgurante du coeur. Ses jeux de phrases et de mots ne sont développés que pour dire des sentiments, des souvenirs, toute une vie fragile et capricieuse comme le battement du sang. Pas trace de formalisme dans cette aisance merveilleuse à se servir de la langue ; la prose de Blondin, jolie jusqu’à la préciosité, souple, blagueuse, parfois ourlée à la Colette, ne rompt pas les amarres de la réalité ; elle cède à l’ivresse, mais jamais à l’ivresse des mots. Ce long bavardage est maigre, savamment rapide, discret.»
p 70