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Critique de MarjorieD


Cressida est la cadette des soeurs Mayfield, l' « intelligente », la « pas jolie ». Une nuit de juillet 2005, elle disparaît dans la réserve du Nautauga (Adirondacks). Les recherchent s'organisent et tandis qu'à des km de là, emporté par la rivière, est retrouvé le petit pull rayé que lui a donné Juliet, sa soeur ainée. le caporal Brett Kincaid, l'ex fiancé de Juliet, s'accuse du meurtre de la jeune fille. le dernier à avoir été en contact avec Cressida, on l'a retrouvé le lendemain de la disparition, inconscient, au volant de sa Jeep qui révélera des traces de sang et des cheveux de la présumée victime…

Ça démarre comme un polar, ça a des airs de polar mais ce n'en n'est pas un et c'est dit dès le prologue :

« On ne m'aimait pas assez.
C'est pour ça que j'ai disparu. A dix-neuf ans. Ma vie jouée à pile ou face ! »

Carthage est un roman dense, complexe, non dans sa construction (roman-chorale, roman linéaire dans sa chronologie malgré les flash-backs nécessaires à la compréhension des personnages et de leurs motivations) mais par la richesse des thèmes et des idées -tranchées- de son auteur. Complexes aussi sont les personnages de ce roman :

Zéno Mayfield : le père, le mari, ancien maire de Carthage, progressiste et sceptique

« Il avait défendu le professeur de biologie, Cassidy, qui avait enseigné la théorie de l'évolution à l'exclusion du créationnisme –ou, plus exactement, tourné le « créationnisme » en ridicule et profondément offensé certains élèves –et leurs parents- chrétiens évangélistes »

C'est un homme fort et actif que la disparition de sa fille va presque briser.

Arlette Mayfield : la mère au foyer, l'épouse, qui trouvera dans la foi et le pardon une autre (raison de) vi(vr)e.

Juliet : la « jolie », celle que tout le monde adore, amoureuse de Kincaid et jalousée par sa petite soeur.

Brett Kincaid : un jeune homme qui s'est toujours efforcé d'être « quelqu'un de bien ». Mais il n'est pas né sous une bonne étoile. Un père qui a « servi » dans la première guerre du Golfe et qui s'est ensuite volatilisé ; c'est pour lui faire honneur qu'il ira faire la guerre en Irak d'où il reviendra broyé tant physiquement que moralement. Et une mère abandonnée par son conjoint, qui n'est plus que regret et amertume. Il a espéré trouver une famille, une vraie, en devenant le gendre des Mayfield.

Cressida, enfin, que j'ai plaint mais à laquelle je ne me suis pas attachée. Une enfant et puis une jeune femme qu'on a du mal à aimer parce qu'elle est incapable d'aimer et avant tout de s'aimer elle-même. Elle ira loin dans la (auto)destruction.

Par le prisme de cette famille et de ce microcosme qu'est la ville de Carthage, Oates nous dépeint la société américaine dans son ensemble au lendemain des attentats de 2001. J'ai vraiment eu la sensation qu'elle avait articulé son récit autour de ses opinions. Il est question de la famille, de religion, de foi, de pardon, de rédemption et de patriotisme. Carthage est un vibrant plaidoyer contre la peine de mort (Oates nous montre dans toute son horreur l'univers carcéral d'une prison de haute sécurité où ont lieu des exécutions capitales), contre ces guerres menées en Irak et en Afghanistan (certains passages sont insoutenables) sur des motifs fallacieux, au nom de la défense de la démocratie à laquelle certains ont cru sincèrement :

« Après l'attaque terroriste contre le World Trade Center, le printemps et l'automne 2002 avaient été une période de ferveur patriotique ; une période où la lucidité n'était pas de mise, surtout chez des jeunes gens comme Brett Kincaid, qui voulaient sincèrement défendre leur pays contre ses ennemis […] Difficile pour Zeno Mayfield qui avait atteint sa majorité dans les dernières années cyniques de la guerre du Vietnam de comprendre ce qui pouvait pousser un jeune homme intelligent comme B.K. à s'engager volontairement dans l'armée. Pourquoi, alors qu'il n'y avait pas de conscription ! C'était de la folie.
Il voulait « servir » le pays… le pays de qui ? Quel fils ou fille d'homme politique s'était engagé dans les forces armées ? Quels étudiants ? En 2002, déjà, on pouvait se douter que la guerre serait faite par les classes pauvres, sous la supervision du ministère de la Défense […] Brett avait été élevé dans une religion protestante quelconque-la méthodiste peut-être. Il n'était pas critique, curieux. Il n'était pas sceptique. Il voulait croire, et donc il voulait servir. »

Ceux qui en reviennent, brisés, broyés sont laissés pour compte :

« Les anciens combattants : le pays en était rempli. Dans les coins perdus des Appalaches, dans les communautés hispaniques de l'Ouest et du Sud Ouest, dans les États des Grandes Plaines comme dans l'est de l'état de New York, les anciens combattants de la croisade contre la terreur : blessés à peine ambulatoires, mutilés (visiblement ou invisiblement), « handicapés ». Quand il longeait la rivière en voiture jusqu'à la ville, traversait les quartiers ouvriers à l'ouest de Carthage, il en voyait de plus en plus souvent, des jeunes gens, de jeunes vieillards, appuyés sur des béquilles, en fauteuil roulant. Peau noire, peau blanche. Les victimes de la guerre. Maintenant que les guerres d'Afghanistan et d'Irak ralentissaient, les anciens combattants allaient être rendus à la vie civile, telles des épaves sur une plage après le reflux d'une grande marée.
En tant qu'homme politisé, progressiste, Zeno Mayfield était sensible à leur sort. Il savait que le gouvernement fédéral ne pourrait jamais dédommager ces hommes de tout ce qu'ils avaient sacrifié dans la naïveté de leur patriotisme. Mais en tant que père, il éprouvait une rage déraisonnable. Ces hommes avaient appris à tuer à la guerre et ils revenaient au pays avec leur appétit de meurtre et sa fille avait été assassinée par l'un d'eux, une machine de guerre devenue folle furieuse. »

En conclusion, j'ai vibré avec Carthage et j'aime son auteure même si je n'ai lu que quelques-uns de ses romans. Joyce Carol Oates fait partie de ces écrivains, de ces artistes, que me réconcilient avec les États-Unis d'Amérique et qui me font espérer : non, tout n'est pas perdu !
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