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Critique de Piatka


Piatka
19 décembre 2013
Coup de coeur pour la boue ! ( Mud en anglais )

Avril 1965. Imaginez...une petite fille d'à peine cinq ans, une toute petite fille accrochée à sa poupée en caoutchouc, précipitée par sa propre mère, marginale à moitié folle, dans la boue froide des marais de la Blake Snake River dans les Adirondacks pour se débarrasser d'elle. L'histoire tragique de Mudgirl commence ainsi, aspirée par cette boue qui pénètre dans sa bouche, ses yeux, ses oreilles, l'étouffe, promise à une mort certaine si un homme ne l'avait pas découverte in extremis et sortie de ce cloaque.
Mais...elle a été un rebut sans identité dont même sa mère ne voulait plus. Finalement recueillie par un couple de quakers qui reporte sur elle l'affection qu'ils n'ont pu donner à leur propre fille morte prématurément, elle poursuit des études brillantes et devient la première femme présidente d'une prestigieuse université de l'Ivy League, la désormais célèbre Meredith Neukirchen, dite M.R., professionnelle irréprochable aux idées progressistes, bourreau de travail, qui ne s'accorde que de rares parenthèses dans les bras de son amant astronome peu présent - l'amant ( secret ), facétie de l'auteur qui ne le mentionne que de cette manière, façon originale de le mettre réellement " entre parenthèses ".

Octobre 2002. Meredith a 41 ans et revient dans la région de son enfance pour prononcer un discours à un congrès. Mais on n'échappe pas aisément à son passé surtout s'il est aussi tragique que celui de Mudwoman. Ses souvenirs profondément refoulés l'assaillent, elle commence à perdre imperceptiblement ses repères, fait des cauchemars, tombe...À l'université, elle doit lutter contre la misogynie et l'immobilisme conservateur de ses collègues et souvent adversaires. Elle lutte courageusement comme elle a toujours su le faire depuis son enfance, mais lassitude insidieuse et/ou solitude dévorante, elle commence à perdre pied.

Comment survivre à un tel traumatisme, une telle absence d'amour finalement ?

C'est véritablement le propos de ce roman de Joyce Carol OATES centré sur M.R., Meredith Neukirchen. Un beau portrait de femme, complexe, dont l'analyse psychologique est très aboutie, subtile. J'ai trouvé particulièrement intéressante la descente aux enfers de M.R., l'engrenage des événements et de ses réflexions intimes, comment elle frôle la folie et flirte avec la perte de contrôle : du OATES au top de son art. Une aventure prenante finalement ce roman, un peu à la manière d'un thriller.
Pour mieux appréhender la psychologie de l'héroïne, et ne pas lasser le lecteur avec une trâme linéaire classique, les chapitres consacrés à Mudgirl et à Mudwoman alternent, scandés par des titres sybillins teintés d'humour grinçant " Mudgirl a un nouveau foyer ", " Mudwoman précipitée sur terre ", " Mudgirl accouplée ", " Mudwoman in extremis ". Presque un sommaire de livre pour enfants ! Un comble ! Bien sûr, il ne s'agit pas d'un roman léger, mais OATES, selon moi, dédramatise ainsi ce roman sombre par touches, s'amuse à sa façon. Jusqu'aux citations d'ouverture de roman : Nietzsche, Whitman et un certain André Litovik qui énonce : " le temps terrestre est une façon d'empêcher que tout n'arrive en même temps. " Tiens donc, qui est ce Litovik, me suis-je dis en ouvrant le bouquin, jusqu'à ce que je réalise bien plus tard qu'il s'agit de l'amant ( secret ). Astucieux clin d'oeil pour se citer soi-même Madame OATES !

N'ayant plus rien à prouver, elle brouille les pistes et se permet des facéties de présentation pour le plaisir de ses aficionados.
Je persiste : à quand le prix Nobel de littérature pour cette grande dame de la littérature américaine ?
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