(...) il avait voulu mettre fin à ses jours, vide d'espoir, alors une mort lui avait paru plus naturelle que toute vie; la délivrance en échange d'une brève lâcheté (...)
En même temps, le nouveau dictateur de Cuba signait d'autres accords avec le gouvernement des Etats-Unis. La production cubaine de pétrole, de nickel, de cobalt, de cuivre et de sucre, de même que les entreprises de chemin de fer, d'électricité et de téléphone tombaient sous le contrôle des Etats-Unis. Batista venait de placer l'économie cubaine sous l'entière dépendance du marché nord-américain.
-- N'as-tu donc jamais ouvert une bible? s'étonne-t-elle.
-- Bien sûr... J'y ai trouvé la mort au rendez-vous à chaque page... et un Dieu qui permet à un peuple d'élever son pouvoir sur les ruines de nations qu'il a combattues... Voilà qui explique assez bien tous les génocides et les holocaustes qui ont meublé l'histoire de la race humaine.
-- On dit que lorsqu'un écrivain obtient le Pulitzer, il est destiné au prix Nobel, fit Fornes, et lorsqu'il obtient ce prix, il devient un prophète... enfin... j'ai lu ça quelque part.
Son visage seul définissait l'homme. On y lisait son existence entière. Des rides creusées par des années en mer et un regard qui embrassait le large.
(...) je suis surtout profondément antimilitariste parce que toute guerre est l'affaire d'assassinats de masse commandés par les pires esprits criminels.
Il était deux heures du matin lorsque Guevara se réveilla brusquement, en nage et pantelant. Il respirait difficilement. Il demeura étendu, les bras croisés sur la poitrine, ainsi qu'il le faisait depuis son enfance. Au fil des ans, il avait appris à apprivoiser les insomnies. Il mettait son esprit au travail, imaginait des mouvements d'échecs, récitait dans sa tête des poèmes de Pablo Neruda.
-- Guevara, maestro... Ernesto Rafael Guevara de la Serna... Je suis étudiant en médecine.
Le maître regarda le jeune homme franchir le seuil du Café Tortoni la tête haute. Il ne marchait pas comme quelqu'un qui allait déambuler dans les beaux quartiers de Buenos Aires, voire célébrer entre amis. Il marchait comme s'il était déjà ailleurs, comme celui qui voyait des choses que d'autres ne verraient jamais.
Il y a au moins mille sujets, mille endroits de Santiago et des environs qui méritent des mots, des remarques... Cette ville est le grenier de l'histoire de Cuba... les Espagnols, les esclaves, les immigrants français, le sucre, le café, les révoltes, les luttes pour l'indépendance... la chute du colonialisme espagnol et la montée de l'impérialisme américain, les dictatures, les appels à une révolution... on dirait que tous les fantômes de l'histoire de Cuba ont élu domicile entre les murs de Santiago et dans les forêts de la Sierra Maestra...
Mais comme il n'avait jamais quitté la Sierra, qu'il ne savait ni lire et écrire, il ne pouvait savoir qu'il était né dans une île créée par Dieu et exploitée par le Diable.