Citations sur Paris-Venise (34)
Ce qui est bien dans le dix-huitième, le soir, c'est que t'as toujours une personne pour te proposer un truc. Des clopes, une pipe, du crack, une pipe à crack, des lots de rustines en caoutchouc. La gamme de choix est encore plus importante que sur Amazon - sans grandes garanties qualitatives dans les deux cas.
Les jeunes d'aujourd'hui ne veulent plus des professions classiques. Maintenant, il faut faire des bagels avec des produits du commerce équitable. Il faut être designer. Tenir une friperie ou développer une appli qui permet à ses utilisateurs de localiser heure par heure les itinéraires des derniers ours bruns en Europe. Tout le monde évoque le crowdfunding, les gens brainstorment, mais plus personne ne sait garnir un boyau pour faire un bon riflard ou changer la roue d'une tire.
Et puis, la nuit, c'est une atmosphère. Y a un côté secret, une intimité qui me plaît. Les sentiments sont décuplés. Les gens heureux le sont plus qu'en journée et les gens tristes sont vraiment tristes. En journée, ils ont le cafard, ils prennent une amende pour stationnement gênant, ils vont au turbin en traînant les pieds, se plaignent de la politique actuelle. Mais, couvées par la lune, les âmes amères se fragilisent comme du cristal. S'égarent sans opposer de résistance. Sombrent dans les abîmes du néant que provoque le départ d'une femme, la mort d'une mère ou l'absence de rêves. J'aime observer tout ça.
Ça aussi, c'est très français. On crache sur l'argent et les avantages de ceux qui en ont, on s'invente des idéaux pour justifier notre frustration de pauvre, mais quand on goûte, l'espace d'une seconde, aux trucs réservés aux riches, on ne trouve pas que ça a un goût dégueu.
J'allais crever au boulot...de nuit...mais payé comme si j'avais crevé au boulot en journée.
P122
Au-dessus de nos têtes, des teintes orangées recouvraient le ciel, l'une des rares choses à établir une forme d'égalité dans ce bas monde. Qu'on se trouve au Darfour ou dans les quartiers huppés de Miami, on a le droit d'admirer le coucher du soleil et ses lumières improbables. À la différence qu'au Darfour, ils n'ont peut-être plus très envie de le regarder.
P187
Je le regardais. Un honnête début de calvitie dissimulé en rabattant la banlieue sur le centre-ville, des bonnes joues rubicondes révélant une importante consommation de viande au réveil et de kir le midi, un cou marqué par les plaques rouges dues au rasage, qu'il voulait quotidien. Sa manière à lui d'être présentable auprès des gens de l'immeuble. Des petits yeux clairs, bien rapprochés, et des ongles impeccables, le tout posé sur des pattes arquées, de taille moyenne. Je le vends mal, mais il n'était pas laid. A l'époque où il écumait le monde de la nuit avec Brousse Ouilisse et Cheûn Paine, ça ne devait pas être celui qui ramassait le plus, mais il avait moyen de se défendre. Et surtout, il sentait toujours bon. Il sentait le pas cher, certes, mais il sentait bon.
L'arrivée à Venise m'a fait un drôle d'effet. Je m'attendais à voir de la flotte, certes, mais je dois avouer que c'était beau, encore plus que je me l'imaginais. Sans y être allé, on sait tous à quoi ressemble Venise, on s'en fait tous une idée plus ou moins semblable à la réalité, on a tous vu un "Thalassa", un reportage au journal de 13 heures. Mais voilà, le bleu tellement différent des autres bleus que celui de la lagune, le fait d'arriver par ce train vétuste, sur ces voies qui pourfendaient une mer, une ville, me donnait l'impression d'arriver en conquérant.
Un Suisse en plein fou rire, c'est moins expressif qu'un Italien qui éternue, mais c'est aussi rare qu'une éclipse totale du Soleil, alors on s'en satisfait.
Je lui ai filé mon CV, une lettre de motivation bien léchée et, quelques jours plus tard, j'avais un entretien avec le DRH de la boite. Un homme longiligne avec une voix douce et une carte du monde détaillant les guerres de religion en guise de tapis de souris d'ordinateur - ce qui montrait sa propension à la déconne.
- Comment s'est terminée votre dernière aventure professionnelle ?
- Comme une histoire d'amour, monsieur, avec des regrets et quelques jolis souvenirs.
- Vous vous êtes fait virer.
- Oui.