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Critique de glegat


L'histoire du livre englobe une partie de l'histoire de l'humanité et de sa marche vers la connaissance, la sagesse et la tolérance. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours beaucoup de plaisir à lire des ouvrages qui parle des livres, des bibliothèques, des entreprises éditoriales et de la diffusion du savoir en général. Isabelle Olivero est responsable des acquisitions à la Bibliothèque nationale de France. Historienne, docteur en histoire elle a soutenu en 1994 une thèse sur « L'Invention de la collection au XIXe siècle ». Son livre "Les trois révolutions du livre de poche" publié par Sorbonne Université Presses retrace l'évolution conjointe des collections et des formats de livres portatifs jusqu'à l'apparition du livre de poche et de son développement phénoménal au XXe siècle.

Elle explique ainsi le développement des collections : « La collection se serait progressivement façonnée comme une réponse aux angoisses et aux espoirs que traversent plusieurs époques et qui relèvent de deux lieux communs : l'excès de livres et la multiplication indéfinie des livres".
L'objet des collections serait de présenter au public une sélection des meilleurs livres disponibles pour éviter la dispersion du lecteur. Cette préoccupation est ancienne, on peut la faire remonter à Sénèque au début de notre ère lorsqu'il disait en substance :
“Une abondance de livre écrase celui qui veut s'instruire et il est nettement préférable de s'intéresser à un nombre limité d'écrivains que de se perdre à en lire beaucoup”.

Adrien Baillet (1649-1706) ne disait pas autrement dans son « Jugements des savants sur les principaux ouvrages des auteurs » publié en 1722 : « On a sujet d'appréhender que la multitude des livres qui augmentent tous les jours d'une manière prodigieuse, ne fasse tomber les siècles suivants dans un état aussi fâcheux qu'était celui où la barbarie avait jeté les précédents depuis la décadence de l'Emprie Romain, si l'on ne tâche de prévenir ce danger par le discernement de ceux qu'il faut rejeter ou laisser dans l'oubli, d'avec ceux que l'on peut retenir ». Que dirait-il aujourd'hui alors que le nombre de nouveaux livres publiés dans le monde est de l'ordre de 5000 par jour !

Dans ce livre Isabelle Olivero présente l'évolution au cours du temps du concept de collections en trois moments :
Le premier moment se situe au XVIe siècle, lorsque la production du livre se trouve profondément transformée par le développement de l'imprimerie et par les débuts de la Réforme et de la contre-réforme qui provoquent un développement de toute l'édition religieuse.
Le XIXe siècle marque le deuxième “moment”, un temps où la collection explose partout en Europe et dans les Amériques. le livre est aussi toujours au XIXe siècle le support par excellence de la connaissance et du progrès. L'idée de Balzac de rassembler ses grandes oeuvres dans l'ensemble de “la Comédie Humaine” marque une ambition totalisante qui ne peut se réaliser que dans le cadre d'un système organisé et non pas dans un seul volume.
Le XXe siècle pourrait représenter le troisième “moment” de cette histoire, car la révolution du livre des années 1950 commence à bien des égards dès les années 1900. S'il y a bien eu une “révolution du poche”, elle est en marche depuis les années 1930.

On voyage ainsi d'étape en étape en côtoyant les grands noms de la littérature, les libraires, bibliothécaires et éditeurs qui ont fait progresser la diffusion du livre pour le rendre de plus en plus proche de son public. On y apprend des faits précis sur la quantité de livres en circulation, les tirages de chaque époque, les droits d'auteurs et l'évolution du système de rémunération des écrivains, les contenus des bibliothèques notamment celle De Voltaire. On suit la genèse des grands éditeurs comme charpentier, Hachette, Gallimard. On comprend les idées qui encadrent la création de nouvelles collections, “la bibliothèque des chemins de fer”, “la pléiade”, la collection “Nelson” et on arrive ainsi au big bang du livre de poche qui passe de 100 nouveautés par an en 1955 à 450 fin 1960 et de 2 millions de volumes distribués en 1953 (création de la collection par Filipacchi) à 23 millions en 1963. Puis éclate dans les années 60 la “querelle du poche” que certains considèrent comme un instrument de “dépréciation culturelle” et une “entreprise de profit”. Mais le livre de poche, quoi qu'en disent ces détracteurs (peu nombreux aujourd'hui), aura été l'un des instruments majeurs de la démocratisation culturelle de l'Europe au XXe siècle.

Cet essai représente un travail de recherche remarquable et constitue un livre de référence sur l'histoire du livre et ne particulier l'histoire des collections et du format de poche. J'ai regretté de ne pas y trouver d'information sur ce nouveau mode de diffusion représenté par les collections vendues dans les points presses et sur internet notamment par l'éditeur espagnol RBA (Collection “Femmes d'exception”, “Apprendre à philosopher”, “Oeuvres de Jules Verne”, “Romans éternels” et bien d'autres) qui mériterait un développement à part, mais il est vrai que le sujet du livre était centré sur la notion de collection éditoriale et de son lien avec le développement des formats de livres de poche. Les collections distribuées dans les points presses, même si elles sont distribuées à l'initiative des grands éditeurs (Hachette, le Monde, Le Figaro) et qu'elles recouvrent un domaine qui va de la littérature classique à la science en passant par la philosophie et la mythologie, proposent en majorité des livres au format standard et relié plutôt que des livres au format poche. Ce mode de diffusion principalement par abonnement permet, en fidélisant un certain public, d'investir dans des entreprises éditoriales d'envergure en empruntant un circuit différent de celui de la librairie classique. En effet, publier 70 volumes des oeuvres de Jules Verne ou 60 volumes sur la philosophie pour ne citer que ces deux exemples, requiert une organisation et un marqueting spécifique pour ne pas transformer ces projets en gouffre financier. On ne peut que se réjouir de voir naître ce type d'initiative à une époque où les encyclopédies et les oeuvres complètes d'écrivains ou d'historiens sont proposé surtout en version numérique.

— “Les trois révolutions du livre de poche, une aventure européenne”, Isabelle Olivero, Sorbonne Université Presses (2022), 365 pages.
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