Le soir tombait sur l'Usine ; elle se teintait toute entière de lumière bleue, au rythme des néons qui s'allumaient le long des coursives, au-dessus des milliers de cages de métal. Le bâtiment ne dormait jamais. De toute sa vie, 153-326 n’avait jamais passé une seule nuit dans l’obscurité. Le ronronnement électrique de la trayeuse, quant à lui, allait continuer encore plusieurs heures. La machine aux allures d'insecte se déplaçait lentement d’une stalle à l’autre, son corps renflé posé en haut de ses longues pattes d'acier.
J'ai haï ce nouveau corps pendant des semaines. J'ai rêvé de mourir. Je préférais me tuer plutôt que de finir ainsi. Tout valait mieux que de finir ainsi. Je me suis jeté sur les murs de ma cellule d’isolement, tête en avant, dix fois de suite en espérant que mon crâne éclate enfin.
S’il avait été de métal et de plastique, j’y serais parvenu. Mais ces bons vieux os n’ont pas voulu céder.
Puis on m’a maîtrisé et mis en cellule capitonnée.
Et dire qu’aujourd’hui, si longtemps après, ces prothèses ne m’en tiennent pas rigueur. Elles m’offrent ce dont j’ai rêvé si longtemps.
Enzo posa la main sur le front de la créature, qui lui prenait bien deux têtes. Gantés d’une mitaine en cuir noir, ses doigts effleurèrent le mufle énorme, déposèrent une pichenette sur sa truffe de lion, avant de gratter les poils rêches aux couleurs de savane. Les grands iris aux lueurs de braise, calmes, confiants, s'accrochaient aux siens.
– Fais-leur manger la poussière, murmura l'homme à l'oreille de la bête.